B - L'emprunt est préférable à l'impôt.

a - L'emprunt est basé sur la confiance, l'impôt sur la force.

Enfantin insiste sur le fait que les recettes publiques sont indispensables pour assurer le bon fonctionnement de l'Etat : celui-ci convertit ces recettes en revenu pour les personnes chargées de "l'entretien de l'ordre dans la société" 247 , et grâce à ce revenu, les agents de l'Etat auront les "moyens de vivre" 248 et de consommer. Enfantin ne se pose pas ici la question de l'efficacité des dépenses publiques, il constate seulement que l'Etat doit contribuer à l'organisation de l'économie industrielle et que pour remplir cette mission, il doit nécessairement entretenir une fonction publique en rémunérant ses agents. La difficulté qui se présente alors est : "comment prélever sur les produits du travail les objets nécessaires à cette consommation [publique] ?" 249 .

Il s'agit par conséquent de décider si les dépenses publiques doivent être financées par l'impôt ou par l'emprunt. Même si, pour Enfantin, ce choix peut être considéré comme neutre d'un point de vue technique, il ne peut l'être assurément d'un point de vue social : le prélèvement de l'impôt, en effet, recourt à la force, tandis que la collecte de l'emprunt repose sur la confiance.

Cette confiance vient alors du fait que les riches capitalistes, reconnaissant le sérieux et la qualité de la signature de l'Etat, acceptent de lui prêter leurs fonds pour en retirer un taux d'intérêt rémunérateur.

Ainsi, la substitution de l'emprunt à l'impôt serait la manifestation financière du progrès historique de l'humanité qui, de plus en plus, abandonne la force pour fonder les relations sociales sur la confiance entre les individus : "la question [de l'impôt ou de l'emprunt] ne laisse pas de choix entre ces deux moyens, elle abandonne le premier aux siècles de barbarie et réserve le second pour notre époque et surtout pour l'avenir" 251 .

En outre, et c'est un argument très important encore aux yeux d'Enfantin, la substitution de la confiance à la force dans les affaires financières permet à l'Etat de réaliser des économies budgétaires très importantes grâce à la très grande facilité de collecte de l'emprunt, comparée à celle de l'impôt : "c'est la souscription des charges de l'emprunt [qui] est la moins gênante répartition des charges de la surveillance" 252 .

Notes
247.

Idem., p. 230

248.

Ibid.

249.

Ibid. A l'inverse de Smith pour qui les propriétaires, en fin de compte, supportent toujours indirectement le poids des impôts, Enfantin pense, de son côté, que le prélèvement fiscal frappe uniquement le travail et les revenus du travail. Un tel raisonnement est logique de son point de vue : l'impôt ne peut être payé qu'à partir du surplus des richesses crées ; comme seuls les travailleurs produisent des richesses nouvelles, il est obligatoire qu'ils soient les seuls à payer l'impôt. Par ailleurs comme l'Etat fonctionne à partir des impôts acquittés par les travailleurs, il est surtout considéré dans cet article comme un mal nécessaire : "quelle est la forme du prélèvement la moins gênante pour la production, c'est à dire celle au moyen de laquelle on n'emploierait que les matériaux les plus mal occupés ?" ("art. cit." p. 230). Le saint-simonisme est souvent présenté comme un socialisme étatique : ce n'est pas essentiellement cette présentation qui ressort de l'article d'Enfantin.

251.

Ibid. Les saint-simoniens s'en remettent toujours, nous le voyons une fois encore, au jugement de l'histoire qui apparaît comme le juge suprême des actions humaines. Avec eux, l'analyse historique acquiert une dimension épistémologique qui se confirmera dans le matérialisme historique de Marx.

252.

Ibid., p. 231.