§2 - Utiliser les ressources de l'emprunt public pour faire baisser le taux d'intérêt et pour consolider la dette.

L'amortissement est une technique financière très en vogue sous la Restauration. Elle consiste à faire racheter par l'Etat des titres de la dette publique pour en atténuer les effets et ainsi les amortir : en rentrant en possession de ces titres l'Etat n'est plus obligé d'en verser les intérêts à ses créanciers. C'est la Caisse d'amortissement qui est chargée de ces opérations de rachat de la dette publique.

Cette Caisse d'amortissement apparemment très active au cours des années 1820, a dans notre pays une existence déjà ancienne. En France, le premier fonds moderne d'amortissement de la dette publique apparaît en 1722 sous le nom de Caisse des remboursements qui connaît un échec assez rapide. De nombreuses tentatives pour réorganiser cette caisse ont lieu tout au long du XVIIIe siècle, mais elles se révèlent chaque fois assez éphémères : la Caisse reparaît en 1749 ; elle est remaniée en 1764, rétablie par Calonne, ministre des finances de Louis XVI, reconstituée en 1800 pour payer les dépenses de la Première République.

Les contours de la Caisse d'amortissement n'ont pas toujours été très clairement définis : du fait de l'imbrication dans notre organisation financière de fonds provenant des institutions judiciaires et des dépôts volontaires des particuliers, ses fonctions ont souvent été confondues avec celles de la Caisse des dépôts et consignations.

Celle-ci remonte à Henri III qui crée un corps de receveurs auprès de toutes les cours de justice du royaume, chargés de recevoir les consignations judiciaires ainsi que les dépôts volontaires. La Révolution de 1789 supprime la charge de receveur considérée comme un privilège d'ancien régime et la loi du 23 septembre 1793 ordonne que les consignations judiciaires soient versées à Paris au Trésor Public et en province dans les caisses départementales. La loi des 28 nivôse et 8 pluviôse de l'an XIII centralise les services pour l'ensemble du territoire et confie à la Caisse d'amortissement 260 , créée à cette occasion, la responsabilité de gérer l'ensemble des dépôts. Les attributions de cette Caisse d'amortissement sont alors très larges et même contradictoires puisqu'elle doit gérer à la fois le service de l'amortissement des rentes et celui des dépôts judiciaires. Pour éviter une telle confusion, la loi de finances de 1816 crée la Caisse des dépôts et consignations, chargée de gérer les dépôts judiciaires. La Caisse d'amortissement maintenue doit de son côté se limiter à gérer la rente de l'Etat et ne doit plus recevoir de dépôts judiciaires : pour cela, elle se voit allouer une somme de 20 millions de francs ; cette somme est doublée en 1817 et portée à 40 millions ; elle est augmentée en outre des produits de l'enregistrement et des loteries ainsi que des ventes de bois appartenant à l'Etat..

Vers 1830, la question de l'amortissement donne lieu à des discussions nombreuses et passionnées. Cette technique financière compte de nombreux détracteurs chez les économistes, jugeant généralement qu'elle accorde une part beaucoup trop importante à l'emprunt et à partir de là, ils se montrent également très critiques à l'égard de la stratégie de la Caisse d'amortissement. Mais si, dans la critique de la caisse, ils rejoignent les partisans de l'impôt, leurs attaques proviennent d'un point de vue totalement opposé car ils sont pour leur part de fervents défenseurs de l'emprunt comme moyen ordinaire de gestion des finances publiques : s'ils dénoncent la stratégie de la caisse par conséquent, c'est parce qu'à leurs yeux elle se montre incompétente pour remplir la mission à laquelle elle devrait se consacrer avec une plus grande efficacité. Ils essaient de montrer à partir de là comment le gouvernement pourrait utiliser l'emprunt public pour une saine gestion des finances publiques.

La contribution des saint-simoniens à cette controverse financière est ainsi très originale : loin de considérer la dette publique comme une charge stérile, ils prônent un recours très large à l'emprunt public et veulent en faire un atout pour le développement économique.

Notes
260.

Pour de plus amples informations sur ces points d'histoire financière, on peut se reporter à Ch. Coquelin et Guillaumin, Dictionnaire de l'économie politique, Paris, Librairie de Guillaumin, 1873, articles Caisses d'amortissement, Caisse des dépôts et consignations, Crédit public. Ou encore à Léon Say, Dictionnaire des Finances, Paris, Berger-Levrault, 1889.