b - L'emprunt public favorise la baisse du taux d'intérêt.

D'après les saint-simoniens, par conséquent, l'emprunt public constitue un moyen efficace pour réduire le taux d'intérêt. Le gouvernement, dans leur optique, est considéré comme un "débiteur solvable [qui] inspire la confiance" 267 . De ce fait, "la garantie de l'Etat, la garantie sociale est bien préférable pour les prêteurs aux garanties individuelles" 268 .

Les contrats de crédit reposant sur une confiance aussi grande pourront se négocier à un taux d'intérêt particulièrement faible : "tel capitaliste qui ne voudrait, à aucun prix, avancer la moindre somme à certain contribuable, consent volontiers à être créancier de l'Etat, à un taux très peu supérieur à celui des plus sûrs placemens" 269 .

Cette baisse du taux d'intérêt, conjuguée avec la facilité de prélèvement de l'emprunt, permet à l'Etat de se financer au moindre coût. Elle a, en outre, des conséquences positives beaucoup plus profondes sur le fonctionnement de l'économie puisque, grâce à ce taux plus bas, le transfert des richesses vers les oisifs, occasionné en règle générale par le versement d'un intérêt, sera moins important.

En outre, le versement du taux d'intérêt ne doit pas poser de graves problèmes à l'Etat, ni à l'ensemble du système financier qui à travers les banques d'escompte supporte le poids de l'emprunt public. Dans ce système envisagé par Enfantin, en effet, "les capitaux se répandraient naturellement là où ils seraient le plus nécessaires" 270 et ce flux incessant de capitaux qui circuleraient continuellement dans le cadre d'une économie monétaire engendreraient sans cesse la production de nouvelles richesses, de telle sorte que "le travail ne serait pas interrompu" 271 : le taux de croissance de la production serait bien supérieur au taux d'intérêt. Le seul cas limite serait celui où "l'activité ne serait ralentie que par le manque effectif de capitaux détruits par suite des dépenses publiques, si ces dépenses n'avaient pas été reproductives, c'est à dire s'il n'en était pas résulté la création d'un nouveau moyen de production" 272 . Mais pour Enfantin, une telle situation ne peut être que très rare, car elle ne correspondant à la logique d'une économie industrielle où les capitaux doivent servir au financement d'une activité productive : elle ne peut résulter que d'une erreur d'appréciation où de circonstances exceptionnelles

D'après cette analyse, l'emprunt est un moyen de financement si avantageux des dépenses publiques qu'il mériterait d'être généralisé. Dans cette optique, Enfantin va jusqu'à envisager, nous le verrons, l'organisation d'un emprunt perpétuel qui aurait surtout pour conséquence bénéfique de rendre caduc le recours à l'amortissement si préjudiciable aux yeux des saint-simoniens.

Notes
267.

Ibid. p. 227.

268.

Ibid.

On peut rapprocher cette socialisation des risques, décrite ici par Enfantin, de la conception assurancielle de l'Etat que les saint-simoniens préconiseront lorsqu'ils envisageront le montage financier d'un système de banques.

269.

Ibid. Enfantin dénonce, d'un ton assez sarcastique, le libéralisme ambigu des capitalistes qui dénient à l'Etat le droit de jouer un rôle économique quelconque et qui, en pratique, tirent profit des opportunités financières qu'il peut leur procurer. Mais, d'un point de vue opposé, on peut lui reprocher la même attitude contradictoire puisqu'il accepte que l'Etat serve les intérêts de ses adversaires déclarés.

270.

Ibid., p. 226.

271.

Ibid.

272.

Ibid.C'est le concept moderne de profitabilité qui apparaît ici assez nettement dans l'analyse d'Enfantin.