SECTION III - AFFIRMATION D'UNE THEORIE SAINT-SIMONIENNE DE LA REPARTITION.

La théorie saint-simonienne des finances publiques est originale et non conformiste. Aujourd'hui encore elle apparaît être d'un grand intérêt, bien qu'à certains égards, elle semble assez déconcertante et parfois même paradoxale. La réflexion de Charles Kindleberger, relative à la conception saint-simonienne de la dette publique est bien symptomatique, de la difficulté qu'il peut y avoir à discerner la logique interne de cette analyse financière.

Ch. Kindleberger présente les implications de cette stratégie saint-simonienne en matière de finances publiques en se référant à l'exemple du banquier Jacques Laffitte auquel il prête des sympathies saint-simoniennes : celui-ci, à son avis, s'inspire des disciples de Saint-Simon et pousse leurs analyses jusqu'à ses conséquences ultimes.

Si leurs conceptions paraissent assez déroutantes, c'est sans doute parce que les saint-simoniens essayent de prendre part, d'une manière novatrice au débat théorique qui se faisait jour à leur époque. Ils veulent proposer une alternative à l'analyse libérale des économistes classiques anglais et dans ce but, ils font une présentation très systématique de leurs propres idées afin d'apporter à ces derniers une contradiction percutante.

Au cours de cette controverse avec les économistes classiques en général, et avec Ricardo plus particulièrement, les saint-simoniens suivent la dialectique qui leur est habituelle : dans un premier temps, il reconnaissent le bien fondé des arguments de leurs adversaires pour marquer leur identité de vue avec eux ou bien pour reprendre ces analyses à leur propre compte ; par la suite, ils marquent leurs divergences avec ces derniers et ils essaient de montrer leurs insuffisances pour mettre en évidence la supériorité de leurs propres analyses.

Fondamentalement, les saint-simoniens construisent leur analyse économique dans un contexte social et historique particulier : il n'existe pas pour eux d'économie pure et désincarnée que l'on pourrait étudier à travers des mécanismes abstraits. Dans le système capitaliste, l'Etat est au service des propriétaires et il les aide à exploiter les travailleurs : lorsque Ricardo critique les prélèvements opérés par l'Etat, ils peuvent se trouver d'accord avec lui dans un premier temps, avec les mécanismes que celui-ci met en évidence. Mais, alors que Ricardo confère à cette critique des prélèvements publics une validité universelle, les saint-simoniens pensent qu'elle est seulement valable dans le contexte du système capitaliste et ils essaient d'imaginer une autre organisation sociale où les recettes de l'Etat pourraient être utilisées dans un sens favorable aux travailleurs : ainsi, Ricardo pense que les prélèvements publics sont néfastes pour l'activité industrielle ; les saint-simoniens sont d'accord avec ce constat, mais ils rendent responsable de cette situation l'organisation capitaliste existante et ils essaient d'envisager un autre type d'organisation où ces prélèvements pourraient être mis à profit par les travailleurs.