B - Controverse théorique centrale avec Jean-Baptiste Say sur la question de l'échange.

a - Pour les saint-simoniens l'échange n'est pas seulement une relation individuelle, il est essentiellement une relation sociale.

Pour J.-B. Say, comme pour tous les économistes libéraux, l'échange est un marchandage entre deux individus : chacun tente alors de maximiser son utilité et le rapport qui en résulte est le plus avantageux qu'il soit possible d'envisager pour chacun des deux participants. Chacun décide librement de participer à un échange qui lui offre l'opportunité d'accroître la quantité de biens possédée et d'améliorer ainsi sa situation matérielle.

Pour les saint-simoniens, la réalité est tout à fait différente. L'échange n'a pas lieu sous le signe de la liberté individuelle, mais sous celui du déterminisme social. Il est, en premier lieu, rendu nécessaire par une organisation injuste et inefficace qui engendre la pénurie et qui isole les individus.

L'échange, à leur époque encore, ne relève pas d'un libre choix, pour les saint-simoniens : c'est à cause de la rareté des biens que les hommes doivent organiser des échanges. Il est inévitable que les individus qui participent à un échange ainsi contraint, organisé sous le signe de la rareté, veuillent calculer les rapports de valeur des biens échangés : "De la nécessité de l'échange est dérivée la nécessité de déterminer la valeur relative des objets" 375 .

Mais l'échange ainsi organisé sous la contrainte n'est pas équitable et la valeur fixée lors du rapport d'échange n'est pas également avantageuse pour tous les participants. Cette valeur d'échange exprime par conséquent l'exploitation des acteurs les plus contraints, ceux qui occupent les places les moins avantageuses et auxquels la société attribue les statuts les moins valorisés. A travers la façon dont s'établissent les rapports d'échange transparaît la dureté des conditions de vie des travailleurs.

Une autre différence très importante entre les libéraux et les saint-simoniens tient à la conception du rôle de l'échange dans le cours de l'histoire de l'humanité. Pour les libéraux, en effet, l'échange marchand, à partir duquel se déterminent les valeurs relatives des biens est un principe intangible d'organisation, alors que pour les saint-simoniens, il correspond à une étape transitoire, nécessaire certes, mais appelée à être vite dépassée du fait qu'il correspond à un état de choses d'une moralité peu satisfaisante.

Mais en attendant, pour se rapprocher de l'association des travailleurs, qui constitue un état supérieur d'organisation, la circulation doit être la plus abondante possible : elle doit engendrer le maximum de richesses. Ces richesses sont mesurées par la valeur qui se forme lors des échanges. Aussi est-ce le prix élevé des biens qui est le plus favorable à la production des richesses et à la création de valeur.

Notes
375.

Ibid.