Le taux d'intérêt est une variable fondamentale pour les saint-simoniens. Comme nous l'avons vu dans le premier chapitre, son mode de prélèvement et son niveau déterminent l'ensemble de la répartition. Nous venons de voir par ailleurs que ce taux d'intérêt est également au cœur de la circulation des richesses. La théorie saint-simonienne nous semble très intéressante de ce double point de vue puisqu'elle attribue au taux d'intérêt, élément déterminant de la répartition, un rôle essentiel dans le fonctionnement d'un circuit monétaire.
Les saint-simoniens mettent alors en évidence une relation de causalité entre la baisse du taux d'intérêt et le développement économique : il est très clair pour eux que, dans cette relation, le taux d'intérêt représente la cause, et le développement économique la conséquence.
De leur point de vue, il ne peut y avoir de baisse du taux d'intérêt induite automatiquement du processus de développement : c'est au contraire la baisse du taux d'intérêt qui stimule la circulation des richesses et favorise par conséquent le développement de l'économie. Sur le sens de cette relation, la philosophie volontariste des saint-simoniens s'oppose fondamentalement à l'optimisme libéral de Jean-Baptiste Say.
Dans ces conditions, les opérations de crédit sont très importantes dans une optique saint-simonienne car elles permettent d'allouer aux travailleurs les sommes nécessaires pour engager un processus productif, à tel point que sans crédit, il ne peut y avoir d'avances et que sans avances il ne peut y avoir d'activité.
Le taux d'intérêt que l'emprunteur paye au prêteur en contrepartie du capital avancé scelle par conséquent l'accord entre l'industriel emprunteur et le capitaliste prêteur. Cet accord représente pour les saint-simoniens la relation industrielle par excellence : c'est dire l'importance de ce taux d'intérêt à leurs yeux puisqu'il est au départ de toute activité productive et que toutes les relations de travail s'organisent autour de lui.
Les opérations de crédit gagées sur le prélèvement d'un taux d'intérêt sont ainsi la clé de voûte de toute l'économie industrielle : "le crédit [est] le principe organisateur qui doit fournir à la société des moyens puissants d'ordre et d'union parmi les travailleurs" 388 (§ 1).
Ces opérations de crédit sont d'une importance capitale car l'avenir de l'industrie dépend dans une large mesure de l'utilisation qui peut en être faite et la responsabilité des économistes est directement engagée, estime Enfantin, dans leur organisation et leur bon déroulement : "les économistes doivent fixer leur attention sur la base des conceptions industrielles de l'avenir, sur le crédit […]" 389 . De leur capacité à mener une politique cohérente du crédit dépend l'évolution du rapport de forces entre les travailleurs et les oisifs (§ 2).
P. Enfantin, "De la concurrence dans les entreprises industrielles, Le Producteur, t. III, n° 3, p. 408.
Idem.