Au Moyen Âge, en premier lieu, "à l'époque de Louis XII un homme méritait crédit pour cela seul qu'il était pieux ; que la confiance dont il jouissait dépendait absolument du plus ou moins de rigueur avec laquelle il suivait les pratiques religieuses de son temps" 392 .
Un tel contexte culturel laissait peu de place aux relations financières entre les hommes. Seuls des individus mal intégrés dans la société féodale, vivant à sa marge, pouvaient transgresser les interdits que la religion triomphante dressait à l'encontre des prêts en argent pour accélérer la circulation monétaire et donner au développement du crédit une impulsion initiale 393 .
C'est l'honneur des juifs et des Lombards comme le rappelle Isaac Péreire d'avoir "su se rendre nécessaires dans des sociétés où le spiritualisme chrétien éloignait […] la plupart des hommes distingués des occupations mercantiles" 394 : il les présente comme des hommes courageux ayant eu le courage de briser des tabous religieux déjà sur le déclin pour contribuer à l'essor de la finance moderne en endurant "la réprobation universelle à laquelle ils étaient en butte" 395 .
Grâce à l'évolution des mentalités qu'ils ont ainsi favorisée, la monétarisation de l'économie a vite progressé : en même temps que le terme même de crédit connaissait une profonde évolution sémantique, une connotation beaucoup plus positive lui était affectée qui permettait du même coup le développement des relations de crédit mieux tolérées par le corps social : "L'influence des idées féodales s'étant affaiblies […] le mot crédit prit un sens conforme à l'esprit de la nouvelle révolution qui s'était opérée. Il signifia la confiance qu'un homme inspirait au souverain ou aux corporations qui devenaient de plus en plus les arcs-boutants du pouvoir royal" 396 .
Avec le développement des transactions d'argent et des opérations de crédit, le marché monétaire naissant rendait alors possible la mobilisation des capitaux sous une forme financière : il a ainsi permis d'accélérer la circulation monétaire et de favoriser le développement du commerce. Mais il était encore mal organisé et peu développé, et ses effets restaient limités.
"Crédit, Discrédit, Banquiers, Industriels, Industrie, Producteurs", Le Producteur, t. II, n° 25, p. 567. Les saint-simoniens, nous l'avons vu, ont la nostalgie du Moyen Age qu'ils présentent comme la dernière époque organique vécue par l'humanité. Comme beaucoup d'historiens, ils semblent faire coïncider son apogée avec le règne de Louis XII (1462-1515) qui représente une époque de calme et de stabilité. Dans le domaine économique, Louis XII restaure l'équilibre des finances publiques, ce qui lui permet de n'avoir pas recours à l'adultération des monnaies très souvent pratiquée par ses prédécesseurs pour rééquilibrer un budget royal catastrophique : Jean le Bon (1319-1364), par exemple, procède entre 1350 et 1355 à 80 altérations successives qui entraînent la division par 10 de la valeur du marc d'argent. Or, la stabilisation de la valeur des monnaies est un préalable indispensable pour envisager des opérations de prêt : c'est seulement à partir de cette époque, par conséquent, qui correspond au règne de Louis XII, que le taux d'intérêt peut baisser sensiblement et s'éloigner du taux de l'usure.
Rappelons que l'Eglise, au Moyen Âge, interdit le prêt à intérêt, car la technique du crédit permet aux hommes de mettre le temps à profit alors que le temps, estime t-elle, n'appartient qu'à Dieu.
Isaac Pereire, "Industrie", Le Globe, 17 octobre 1831.
Idem.
"Crédit, Discrédit, Banquiers, Industriels, Industrie, Producteur", Le Producteur, t. II, n° 25, p. 568.