B - Sens de la causalité : la baisse du taux d'intérêt est à l'origine des progrès de la circulation, elle n'en est pas la conséquence.

a - Controverse traditionnelle sur l'origine de la baisse du taux d'intérêt : de l'Etat mercantiliste au marché libéral.

Les mercantilistes pensaient qu'un taux d'intérêt faible était un moyen très efficace pour favoriser le commerce. Une des fonctions prioritaire de l'Etat était de prendre, par décret, des mesures réglementaires pour en favoriser, sinon pour en imposer, la baisse. J. Child est, pour reprendre l'expression de Schumpeter, "le plus éminent des nombreux interprètes de cette théorie […] qui se présente naturellement au praticien ignorant, à savoir que l'une des causes, peut-être la cause principale, de l'état florissant du commerce hollandais au XVII e siècle était le bas taux de l'intérêt en vigueur dans ce pays" 418 .

Avec le déclin de l'influence mercantiliste et son effacement progressif, au cours du XVIIIe siècle, devant les principes du libéralisme économique, un renversement de perspective s'opère sur cette question. Les auteurs, pour la plupart, considèrent alors que la baisse constatée du taux d'intérêt n'est pas la cause, mais la conséquence d'un processus d'enrichissement qui se développe en marge de l'intervention de l'Etat, sinon même contre cette intervention. Comme de ce point de vue, l'Etat ne doit plus intervenir dans la fixation du taux d'intérêt, la discussion relative à son niveau n'est plus un enjeu direct de politique économique.

C'est à cette dernière théorie essentiellement que, vers 1825, les saint-simoniens sont confrontés lorsqu'ils développent leur analyse du circuit, dans laquelle ils accordent une place si importante à la baisse du taux d'intérêt. Ils prennent alors le contrepied de cette approche libérale et ils en reviennent pour l'essentiel à l'esprit qui, sur cette question guidait la démarche mercantiliste : c'est à dire que l'intervention de l'Etat, ou du moins un accompagnement institutionnel, est nécessaire pour faire baisser le taux d'intérêt afin d'accroître, en retour, la circulation des richesses. Nous avons encore une nouvelle fois la preuve du caractère hétérodoxe de leur théorie puisqu'ils se rapprochent ici, contre les libéraux, du point de vue des mercantilistes, que par ailleurs ils critiquent tant.

Notes
418.

J.-A. Schumpeter, op. cit. , t. I, p. 455. Child se faisait le porte-parole des commerçants anglais qui demandaient à leur gouvernement la baisse du taux d'intérêt par voie législative, afin de pouvoir résister à la concurrence des marchands hollandais. Le commerce hollandais était, en effet, très florissant à cette époque et les anglais mettaient son succès sur le compte des bas taux d'intérêt pratiqués en Hollande. On peut suivre plusieurs pistes pour tenter d'expliquer le bas niveau des taux d'intérêt en Hollande au XVIIe siècle. En premier lieu, il y avait dans ce pays un grand nombre d'épargnants peu avertis et peu exigeants par conséquent sur le niveau des taux d'intérêt versés : de ce fait, les fonds hollandais à la recherche d'investissements étaient très abondants. En second lieu, la Banque d'Amsterdam est parvenue à réaliser des profits élevés en imposant des conditions très strictes aux clients qui déposaient des fonds : elle traitait seulement les gros ordres ; elle imposait des commissions pour l'ouverture de comptes et pouvait se contenter par conséquent d'un intérêt assez bas pour l'argent qu'elle prêtait. Enfin, le gouvernement hollandais parvenait à placer des emprunts d'Etat à très long terme chez les nombreux épargnants dont nous avons parlé : la dette publique, de ce fait, reposait sur une grande confiance ; sa consolidation ne présentait pas de difficultés et les taux débiteurs servis par l'Etat pouvaient être assez bas. Voir sur ces question, C. Kindleberger, Histoire financière de l'Europe occidentale, Economica, 1990, p. 69-71.