Outre une situation budgétaire catastrophique, la France devait affronter, dans les premières années du XVIIIe siècle, une pénurie de monnaie d'autant plus grave que la politique déflationniste rigoureuse menée par Desmarets avait en même temps déclenché une sévère cherté des prix : le revenu réel de la population avait ainsi beaucoup baissé avec le rehaussement des monnaies dû aux effets de cette politique.
Cette rareté de monnaie qui constituait un handicap très lourd pour la circulation des richesses et qui est en grande partie à l'origine, peut-on estimer, des difficultés de l'économie française à cette époque, avait en fait plusieurs causes.
On peut en premier lieu citer comme une cause exogène la raréfaction des arrivées de métal péruvien et mexicain dans les ports espagnols : tout au long du XVIIe siècle, les métaux précieux débarqués en Espagne en grande quantité avaient irrigué l'économie des pays européens ; à partir de 1600 ce métal, progressivement, est devenu plus rare et le "creux est atteint à partir de 1660" 440 pour une période d'une bonne cinquantaine d'années 441 .
Les guerres de Louis XIV aggravèrent cette pénurie de métal par les ponctions fiscales incessantes qu'elles occasionnèrent pendant les dernières années de son règne puisque cet argent prélevé pour financer la guerre n'était pas réinjecté dans les circuits commerciaux ordinaires : on voit alors se dessiner les contours d'une économie de guerre aux dépenses largement improductives avec une fuite importante de numéraire du fait que les soldats des armées d'occupation dépensent leur solde dans les pays occupés.
Enfin le mouvement des prix connaissait depuis 1688 des fluctuations erratiques 442 qui nourrissaient l'inquiétude de la population quant à la stabilité des monnaies : les marchands, n'ayant aucune confiance dans les billets retirent le métal de la circulation pour le thésauriser de telle sorte que la loi de Gresham une fois de plus se trouve vérifiée à travers leur comportement.
C'est à cette situation économique si déplorable que Law se propose de porter remède lorsqu'en 1715 il adresse ses Mémoires au Régent au sujet d'Un nouveau système des finances. P. Harsin décrit ainsi le marasme commercial qui frappait alors le pays : "la crise sévissait dans les affaires privées. L'industrie chômait. En 1715, on enregistra 42 faillites en 8 mois à Bordeaux" 443 .
Law n'était pas seul à dénoncer cette situation. De nombreux Mémoires, souvent anonymes, en faisaient de même et la plupart s'accordaient pour dénoncer la pénurie des espèces monétaires. L'un écrit, par exemple : "la plupart des marchands et négociants sont devenus comme paralitiques par le défaut de circulation des espèces qui sont à proprement parler l'âme du commerce" 444 .
"Partout, commente P. Harsin, on dénonce la rareté de l'argent" 445 . La monnaie est trop rare pour être en mesure d'assurer sa fonction d'intermédiaire des échanges : de ce fait la circulation est très restreinte et les échanges très peu nombreux. Parallèlement le système bancaire était encore très peu développé en France et la circulation de billets de banque encore embryonnaire était incapable de suppléer à la pénurie d'argent.
P. Goubert, in F. Braudel et E. Labrousse dir., HIstoire économique et sociale de la France, p. 330. Sur les importations de métaux précieux d'Amérique latine en Europe à partir de la renaissance, on peut se référer à l'ouvrage de P. Chaunu, Séville et l'Amérique aux XVI e et XVIII e siècles, Flammarion, 1997.
Le métal précieux en provenance du Mozambique et du Brésil remplace progressivement, à partir de 1700, celui du Mexique et du Pérou. Les historiens toutefois, n'ont pas un avis unanime sur les dates et sur les quantités débarquées. Ils s'accordent cependant pour dire que ce nouveau flux est loin de compenser entièrement le précédent. On peut encore consulter sur cette question P. Goubert, op. cit., p. 330-334.
Cette évolution est signalée par P. Goubert, op. cit., p. 333.
P. Harsin, Les doctrines monétaires et financières en France du XVI e au XVIII e siècle, F. Alcan, 1928,p. 123.
Idem, p. 122. Le Mémoire qui consiste en un exposé sommaire d'une question, assorti implicitement d'un plaidoyer en faveur d'un projet est un genre qui connaît un grand succès au début du XVIIIe siècle. La publication de ces nombreux Mémoires donne lieu à des échanges fructueux, souvent d'ailleurs empreints d'utopie et elle suscite une réflexion intéressante qui contribue à d'apporter une explication et une réponse aux questions économiques et financières de l'époque. Les saint-simoniens, d'une certaine manière, restent imprégnés de l'état d'esprit qui animait les auteurs de ces Mémoires. Très souvent, persuadés de détenir la bonne solution aux problèmes du moment et de connaître la bonne réponse, ils ont voulu jouer le rôle de conseiller du prince en adressant au gouvernement ou à des personnages influents de la politique leurs réflexions sur des sujets divers : constitution d'un système de banque ; colonisation de l'Algérie ; construction de voies ferrées…
Ibid.