Pour faire face à la pénurie de monnaie apparue avec la raréfaction des arrivées de métal du Mexique et du Pérou, certains pays européens avaient déjà fondé avant même le début du XVIIIe siècle une banque centrale, d'émission nationale, ayant vocation à organiser la circulation de leurs billets, dotés du cours légal, sur l'ensemble du territoire national : la Banque de Suède fut fondée la première en 1668, suivie par la Banque d'Amsterdam en 1683 et par celle d'Angleterre en 1694 446 .
En France, plusieurs projets de banques d'émission voient le jour dans les premières années du XVIIIe siècle 447 . Les plus aboutis furent ceux que Samuel Bernard présenta de 1706 à 1710 au contrôleur général des finances de l'époque : il proposa successivement de fonder une Banque royale habilitée à convertir le papier monnaie de l'Etat en billets de banque, une banque commerciale, à Lyon, destinée à faciliter les opérations de trésorerie des commerçants de la ville auxquels elle aurait pu également consentir, au titre de banque de crédit, des avances de trésorerie ; il eut aussi l'idée ensuite de créer une banque de ce type à Paris 448 .
Cependant, aucun de ces projets ne put aboutir à cause de l'hostilité des négociants et des nombreux adversaires qu'il avait dans le milieu de la finance. Le résultat en est que la France ne pouvait alors compter sur une organisation financière efficace. "L'absence d'un véritable crédit public, écrit P. Harsin, avait été jusqu'en 1715 la lacune la plus grave du système financier français. Alors que dans la plupart des Etats européens, la banque de dépôt d'abord, celle d'émission ensuite, avaient été créées avec succès, aucune réalisation semblable n'avait été entreprise en France" 449 .
La raison fondamentale de tous ces échecs résidait sans doute dans l'impossibilité de fonder un système bancaire solide dans un pays dont les finances croulaient sous une dette gigantesque. C'est pourtant à cette tâche très périlleuse et très courageuse que va s'attacher Law quelques années plus tard. Sans doute les saint-simoniens estiment-ils qu'il a fait preuve d'une audace très louable et d'un grand sens de l'intérêt du pays en cherchant des moyens de financement à travers la création d'une banque. C'est pourquoi, un siècle plus tard, ils tenteront de réhabiliter son œuvre, autant qu'il était possible de le faire, et qu'ils chercheront aussi dans ses idées une source d'inspiration.
Des banques de dépôt avaient vu le jour dès le début du XVe siècle et elles s'étaient généralisées assez vite au XVIe siècle. L'originalité de la Banque de Suède, toutefois, la Riksbank, fut de réunir les deux fonctions de banque de circulation et de banque de crédit au sein du même établissement (voir C. Kindleberger, op. cit., p. 71-73). Il existe un décalage important dans la date de création des banques nationales d'émission entre les pays du Nord de l'Europe où la religion protestante acceptait ou même encourageait le prêt à intérêt et les pays du Sud où la religion catholique l'interdisait et freinait le développement du crédit. Suivant les textes que l'on met en lumière, la lecture de l'Evangile peut donner lieu à des interprétations différentes : les protestants se réfèrent souvent à la parabole des talents alors que les catholiques s'attachent aux passages qui glorifient la pauvreté.
Voir au sujet de ces projets, P. Harsin, Crédit public et banque d'Etat en France du XVI e au XVIII e siècle, E. Droz, 1933, p. 37-39.
Samuel Bernard (1651-1739) avait amassé une fortune considérable grâce essentiellement aux affaires qu'il avait faites avec la Compagnie de Guinée. La Guinée était alors le nom donné à la côte de l'Afrique de l'Ouest et l'activité de la Compagnie de Guinée consistait à échanger des esclaves contre des tissus, des armes ou encore de l'alcool fabriqués en France. A la fin du règne de Louis XIV, il utilisa cette fortune pour prêter de l'argent à des finances royales aux abois, ce qui lui valut en retour de nombreuses charges honorifiques.
P. Harsin, in F. Braudel et E. Labrousse, op. cit., p. 276.