b - Attitude embarrassée des saint-simoniens pour réhabiliter le système de Law.

C'est pourtant à sa réhabilitation que les disciples de Saint-Simon vont s'attacher. C'est l'œuvre de deux d'entre eux, en particulier, dans deux articles du Producteur 457 :P. Enfantin, qui prendra ouvertement la défense de Law et O. Rodrigues, qui publiera un texte plus nuancé. Ce dernier, d'un côté, se livre à une critique formelle de l'œuvre de Law en énonçant des arguments attendus, ce qui passe alors pour la moindre des convenances, et d'un autre côté, c'est le plus important, il s'attache à mettre en évidence ses idées positives et l'intérêt toujours actuel, alors, de ses analyses : à une époque où la seule évocation du système de Law déclenchait de violentes manifestations d'hostilité, le fait de peser les avantages et les inconvénients de son expérience pouvait déjà passer pour une attitude très bienveillante à son égard.

Les saint-simoniens, en règle générale, retrouvent par conséquent l'esprit de certains économistes du XVIIIe siècle comme Forbonnais en particulier, qui estimaient, qu'au-delà de son échec, il y avait beaucoup de leçons à apprendre et beaucoup d'expériences à tirer de l'œuvre de Law. C'est en même temps, nous l'avons dit, un retour à l'analyse monétaire.

Notes
457.

P. Enfantin, "Du système d'emprunt comparé à celui des impôts", Le Producteur, t. III, n° 2, p. 215-252 pour le premier article et O. Rodrigues, "Considérations sur le système de Law", Le Producteur, t. IV, n° 1, p. 5-19 pour le second. La différence de ton entre l'article d'Enfantin, qui tranche ouvertement en faveur de la réhabilitation de Law et celui de Rodrigues qui, pour faire accepter l'idée de cette réhabilitation, juxtapose arguments favorables et défavorables s'explique peut-être par la différence de caractère de ces deux auteurs. Enfantin était persuadé de la justesse de ses analyses et il voulait toujours imposer ses vues. O. Rodrigues était plus hésitant, souvent en proie au doute, et il adoptait une démarche plus conciliante. Cette différence entre les deux personnages est d'ailleurs apparue clairement dans leur comportement au sein de L'Eglise saint-simonienne : alors qu'Enfantin était intransigeant, toujours prêt à prononcer des exclusions, O. Rodrigues tentait, autant que possible, de préserver l'unité du groupe en cherchant à rapprocher les différentes sensibilités. Ces deux personnalités si différentes n'ont pu coexister très durablement et Rodrigues qui se sentait dépossédé de l'héritage intellectuel de Saint-Simon, a fini par se révolter contre l'autoritarisme d'Enfantin et sa mainmise sur le groupe. Au sujet du conflit entre ces deux disciples qui s'est achevé par le schisme de O. Rodrigues, on peut consulter S. Charlety, op. cit., p. 150-154.