d - Law a mené une politique trop autoritaire.

Les critiques les plus virulentes que les saint-simoniens, en dernier recours, adressent à Law, portent sur la forme de son action.

Enfantin lui reproche l'autoritarisme dont il fit preuve pour imposer ses conceptions financières : il mena sa politique, estime-t-il, de manière très brutale, sans recourir à aucune des nuances qui pouvaient rendre acceptables les mesures douloureuses s'avérant nécessaires lorsque la situation de la Compagnie des Indes se dégradait. "Nous le répétons, les moyens employés par ces deux hommes [Law et l'abbé Terrai] ne doivent en aucune façon servir d'exemple pour l'avenir […] ; ainsi Law et Terrai ont employé la force ou la ruse, moyens odieux" 479 .

C'est le même reproche qu'Olinde Rodrigues adresse aussi à Law : avoir voulu imposer sa Compagnie des Indes comme monopole commercial, alors même que ses comptes commençaient à être déséquilibrés, en abusant de la crédulité des épargnants et en déchaînant ainsi la spéculation. Il porte sur la stratégie de Law le même jugement qu'Enfantin : "l'agiotage n'eut plus de frein ; et il avait fallu introduire cet agiotage, le pousser au plus haut degré par des promesses fallacieuses" 480 .

Notes
479.

P. Enfantin, "Du système d'emprunt comparé à celui des impôts", Le Producteur, t. III, n° 2, p. 224. L'abbé Terrai, ou Terray comme nous l'écrivons de nos jours, (1715-1778) passe, au même titre que Law, pour un symbole d'impopularité en matière financière. Lorsqu'il fut nommé contrôleur général des finances en 1769, il trouva les finances du royaume dans la situation de catastrophe chronique qui les caractérisait à la fin de l'Ancien Régime et il entreprit pour les restaurer de mener une politique déflationniste sévère : il augmenta les impôts en créant de nouvelles taxes et il réduisit les dépenses de l'Etat. Ces deux types de mesures conjuguées assurent en général à leur auteur une solide impopularité. L'impopularité qui frappa Terray fut d'autant plus grande, qu'à ses mesures financières, il ajouta un esprit retors et une existence dissolue. Le discrédit de Terray était si grand qu'il fut soupçonné de vouloir affamer le peuple lorsqu'il institua un monopole royal sur les grains en 1770. Enfin l'échec économique s'ajouta à son échec politique : il ne put mener à bien une tâche insurmontable et son passage aux finances se termina pratiquement en banqueroute, l'Etat n'étant plus seulement en mesure d'honorer ses dettes et de respecter ses engagements ; ce qui incite Enfantin à parler de "moyens odieux". Pourtant, malgré toutes les critiques qui lui furent adressées, et bien qu'il ait mêlé sa voix à celles-ci, l'article d'Enfantin, dans sa tonalité générale, est assez favorable à Terray : il lui sait gré d'avoir surtout frappé les riches et les rentiers pour tenter de restaurer les finances du royaume ("art. cit.", p 221-222). Au sujet de la politique de l'abbé Terray, on peut consulter F. Bayard et al., Dictionnaire des surintendants et des contrôleurs généraux des finances, Imprimerie nationale, 1991, p. 171-175.

480.

O. Rodrigues, "art. cit.", Le Producteur, t. IV, n° 1, p. 14-15.