e - L'échec de Law fait peser un soupçon sur les tentatives ultérieures de réforme financière.

Ce qu'en réalité, à travers leurs critiques, les saint-simoniens reprochent avant tout à Law, c'est d'avoir échoué dans son projet.

L'échec de Law, en effet, rend les tentatives de réforme financière beaucoup plus difficiles à poursuivre et il complique singulièrement leur propre tâche.

Enfantin, pour sa part, regrette que toutes les considérations relatives à la faillite du système de Law occultent le véritable problème financier qui est celui de la répartition des richesses entre les travailleurs et les oisifs. La référence incontournable à ce système escamote malheureusement à ses yeux la réflexion nécessaire sur l'organisation financière de l'avenir, et en outre, elle brouille les cartes car les propositions qu'ils peuvent formuler ne sont pas accueillies avec la sérénité qui conviendrait à leur examen attentif : "nous croyons avoir déjà assez prouvé dans ce journal, que, dans l'examen du passé, nous ne recherchons pas des sujets de blâme ou des motifs d'éloge" 481 .

Il faut dépassionner le débat sur cette histoire financière de triste mémoire : apurer les dettes du passé pour envisager de nouvelles tentatives de réforme mieux conçues. "Notre intention serait donc bien mal saisie, ajoute Enfantin, si l'on voyait dans ce que nous disons de Law et de Terrai le désir de recommander leurs actes à l'admiration imitative de la postérité" 482 .

Ainsi, les saint-simoniens doivent absolument se démarquer de Law pour que son échec ne rejaillisse pas sur eux. A cause de cet échec, il est plus difficile pour eux de faire accepter leurs propres projets de réforme financière et c'est cela, avant tout, qu'ils ne pardonnent pas à Law.

De l'aveu même de Olinde Rodrigues, qui se réfère à Forbonnais pour exprimer son avis, c'est un argument définitif pour s'opposer au système de Law : "Nous finirons en disant avec Forbonnais : " Le plus grand des maux qu'a produits le système est peut-être l'odieux qu'il à jeté sur ce mot" 483 .

Mais les accusations acerbes de Rodrigues envers Law sont surtout des propos de circonstance. On se rend compte, en lisant la suite de sa citation de Forbonnais, qu'il ressent une grande frustration de ne pouvoir adhérer au système de Law pour le défendre ouvertement. Et on comprend que, pour l'essentiel, les analyses de Law et celles des saint-simoniens se réfèrent à la même logique financière : "Tout homme qui a le malheur de proposer un plan, soit pour opérer des réformes, soit pour trouver des expédiens, se voit mépriser comme esprit systématique" 484 .

Notes
481.

P. Enfantin, "art. cit.", Le Producteur, t. III, n° 2, p. 223.

482.

Idem

483.

O. Rodrigues, "art. cit.", Le Producteur, t. IV, n° 1, pp. 18. François Veron de Forbonnais (1722-1900) que nous avons déjà cité (cf. supra, n. 1, p. 169) est essentiellement connu à travers trois ouvrages : Eléments du commerce, 2 vol., 1754 ; Recherches et considérations sur les finances de la France de 1590 à 1720, 2 vol., 1758-1759 ; Principes et observations économiques, 1767. P. Harsin fait de lui une présentation très élogieuse : " Fortbonnais avait une véritable compétence sur les questions financières […] C'est donc en parfaite connaissance de cause qu'il nous a laissé ses réflexions sur l'économie générale de son temps (op. cit. p. 249-250). Il occupe même, d'après P. Harsin, une place importante dans l'évolution des idées économiques au XVIIIe siècle car il est le premier, avant même Quesnay, à se démarquer très nettement des principes mercantilistes, ou du moins de leur représentation la plus courante. L'ouvrage de Forbonnais, Recherches et considérations. . . (t. II, p. 579) inspire ce commentaire à P. Harsin : "Il fait la distinction suivante : de deux particuliers, le plus riche est celui qui a le plus d'argent, mais de deux Etats ,c'est celui qui a le plus de productions naturelles"(P. Harsin, loc. cit.). Ce commentaire montre, en outre que Forbonnais établit une distinction précise entre ce que nous appellerions aujourd'hui les sphères microéconomiques et macroéconomiques. Et pour bien signifier sans doute que Forbonnais occupe, à ses yeux, une place charnière à la fin du XVIIIe siècle, c'est par lui que P. Harsin termine son étude des auteurs mercantilistes du XVIe au XVIIIe siècle, et qu'il clôt, ainsi, la période mercantiliste.

484.

O. Rodrigues, "art. cit.", Le Producteur, t. IV, n° 1, p. 19.