b - Une monnaie active.

Law ne conçoit pas le fonctionnement d'une économie sans monnaie : pour lui elle est aussi indispensable au fonctionnement du corps social que le sang l'est au fonctionnement du corps humain. "La monnaie est dans l'Etat ce que le sang est au corps humain : sans l'un, on ne saurait vivre, sans l'autre, on ne saurait agir" 490 .

Une telle référence est assez générale et il ne faut sans doute pas, à partir de celle-ci faire une extrapolation trop précise et tirer de conclusion théorique trop catégorique. Ce qui est indiscutable par contre, c'est que Law représente la circulation monétaire comme le principe organisateur de l'activité économique et que le but prioritaire des pouvoirs publics est de favoriser une circulation harmonieuse : il conçoit bien ainsi l'idée d'un circuit monétaire.

D'ailleurs, il précise, plus loin, dans son Mémoire, pour insister sur le fait que la circulation des richesses est vitale pour la mécanique sociale : "Quand le sang ne circule plus dans toutes les parties, le corps languit ; de même quand la monnaie ne circule pas dans les provinces, le corps social languit et s'affaiblit" 491 .

Or, c'est exactement la même idée qu'on retrouve dans un article du Globe lorsque celui-ci veut montrer la nocivité de la thésaurisation qui "enlève d'importants capitaux à l'action reproductive et fécondante de l'industrie" 492 et qui met ainsi en péril toute l'activité économique en bloquant la circulation des richesses.

Comme la monnaie joue un rôle actif dans l'économie, il est par conséquent souhaitable, de ces deux points de vue respectifs, d'estimer la quantité de monnaie la plus propice à la bonne marche des affaires.

Notes
490.

J. Law, Deuxième mémoire sur les banques, p. 608, cité par P. Harsin, op. cit., p. 146. P. Harsin juge cette citation de Law "dans la vraie tradition mercantiliste française et anglaise" (loc.cit.). Le principe de la circulation du sang avait été mis en évidence par W. Harvey en 1628 et une découverte aussi essentielle était de nature à frapper les esprits scientifiques, toutes disciplines confondues. Dans l'ordre économique, le simple fait de se référer à une telle découverte scientifique n'est pas significatif d'une orientation théorique particulière, et dans tous les cas, la volonté de représenter la circulation monétaire comme le principe organisateur de l'activité économique n'est certainement pas caractéristique des économistes mercantilistes. Schumpeter ne doit pas être d'accord sur cette question avec le point de vue de Harsin : pour lui, une représentation théorique globale de la circulation dans l'économie, allant au delà d'une simple représentation imagée, est caractéristique de l'école physiocratique. Le mérite en revient même, plus précisément, à Quesnay, qui du fait qu'il était médecin, eut l'idée d'appliquer la découverte de Harvey au fonctionnement du corps social. Celui-ci aurait alors construit la théorie du circuit des richesses par analogie avec la circulation du sang : "Il est tentant de supposer que l'idée [du flux circulaire] en était venue de manière indépendante au médecin Quesnay, par analogie avec la circulation du sang dans le cœur humain" (J. Schumpeter, op. cit., t. I, p. 328)

491.

Idem, cité par P. Harsin, op. cit., p. 146.

492.

"L'héritage suivant la nature condamné par la force des choses", Le Globe, 26 octobre 1831.