d - Le système de Law vise à l'euthanasie des rentiers, but que plus tard les saint-simoniens poursuivront à leur tour.

d1 - Pour Law, les débiteurs doivent être mieux considérés que les créanciers.

La dette publique correspond à un engagement de l'Etat envers les capitalistes qui détiennent ses titres. A travers cette relation entre l'Etat débiteur et les capitalistes créanciers, les rentiers sont en relation de force.

Lorsque Law, par l'intermédiaire de son système de banque, émet une grande quantité de moyens de paiement et se livre à une large distribution de crédits pour accélérer la circulation et augmenter la production des richesses, il se fixe pour objectif d'empêcher les rentiers d'exercer leur mainmise sur l'économie du pays.

Si, avec la croissance économique réalisée grâce à cette injection de moyens de paiement et à cette distribution de crédits pouvant faire office de monnaie, la quantité de biens réels augmente de manière significative, la part du revenu détenu par les rentiers va, elle, diminuer mécaniquement : la richesse détenue sous forme de créances représentatives de titres publics représentera une part bien moins importante de la richesse globale. Par conséquent, le pouvoir détenu par les rentiers diminue en même temps que la part de la richesse thésaurisée.

Avec l'émission de moyens de paiement supplémentaires, la quantité de monnaie métallique n'augmente pas : seule la vitesse de circulation de cette monnaie devenue fictive augmente. Par conséquent, il n'y a aucune raison, pour Law, que les prix augmentent et l'inflation n'est pas un danger immédiat.

L'inflation est une éventualité dont les saint-simoniens tiendront encore moins compte que Law : ils ont même tendance à éluder la question de la hausse des prix : si des perturbations monétaires apparaissent, c'est la sanction d'une politique mal dirigée. Ainsi Law a échoué, en fin de compte, estime Olinde Rodrigues, comme nous l'avons vu, "[parce qu']il n'avait pas approfondi suffisamment la nature du billet de banque, [qu']il ignorait les conditions qui règlent l'émission des billets" 538 .

Quoiqu'il en soit, la hausse des prix et la dépréciation monétaire ne sont pas un problème majeur dans cette optique commune à Law et aux saint-simoniens : une économie saine est une économie apurée de sa dette publique avec un Etat libéré de rentiers trop puissants et trop prospères : "Si, toutes choses égales, juge Dutot, c'est le débiteur plutôt que le créancier qui doit être favorisé" 539

Nous voyons bien que Law, lorsqu'il proposait une valorisation inversée des fonctions économiques, voulait transformer l'organisation financière pour bouleverser la structure sociale : c'est son objectif ultime, exprimé, non sans quelque provocation à travers la citation précédente. Le débiteur doit jouir d'une grande considération sociale parce qu'il a emprunté pour produire des richesses en travaillant : il est utile à la société. Le capitaliste créancier est inutile : il ne doit jouir d'aucune considération sociale.

Notes
538.

O. Rodrigues, "art. cit.", Le Producteur, t. IV, n° 1, p. 9.

539.

Dutot, op. cit., t. I, p. 7.