A la logique classique du marché, les saint-simoniens opposent une logique de circuit. La réalité de l'économie est constituée, dans cette optique, d'échanges incessants entre tous les acteurs sociaux : qu'ils soient similaires ou conflictuels, leurs intérêts sont interdépendants tout au long du processus ininterrompu de la circulation des richesses.
La question essentielle n'est alors plus, à leurs yeux, de représenter l'équilibre statique du marché, mais au contraire la dynamique économique qui rend compte de la production sans cesse accrue des richesses. Ils décrivent ainsi ce circuit des richesses dans la tradition des physiocrates auxquels ils se réfèrent souvent : ils se servent du courant physiocratique comme d'une caution théorique pour s'opposer à l'hégémonie du courant classique, ou de l'école de J.-B.Say, et pour présenter une conception alternative des phénomènes économiques et sociaux.
Aux yeux des saint-simoniens, les physiocrates bénéficient d'une antériorité théorique sur J.-B. Say. Selon Enfantin, "Quesnay avait cherché à s'élever jusqu'à la conception de l'ordre social" 549 et ses découvertes sont essentielles car il avait perçu la véritable signification de l'économie. Par la suite, dit encore Enfantin, "M. Say a tenté de limiter le champ de [cette] science" 550 : il n'est ainsi qu'un pâle imitateur qui a réduit la portée de la doctrine physiocratique en la vidant de son contenu.
Les saint-simoniens disent vouloir remonter à l'analyse monétaire formalisée par les physiocrates. Selon eux, les avances aux producteurs remplissent une fonction vitale dans le déroulement du processus économique, comme déjà l'envisageait Quesnay avec le Tableau économique. Fondamentalement, pensent-ils, la monnaie, surtout lorsqu'elle est libellée sous forme de billets, est indispensable à la mise en œuvre et au déroulement de la production dans une économie industrielle.
Cette analyse des saint-simoniens, qui se situe dans la droite ligne de celle des physiocrates, est diamétralement opposée à celle de J.-B. Say telle qu'elle s'exprime à travers la loi des débouchés (§1). L'idée d'une régulation automatique qui garantirait un équilibre permanent de haut niveau n'est qu'un mythe à leurs yeux : c'est au contraire l'existence inéluctable des crises qui caractérise le fonctionnement du système capitaliste et les saint-simoniens mettent en évidence la nature endogène des crises qui tiennent à la place que les rentiers occupent dans ce système. A partir de là, il ne faut pas compter sur les mécanismes autorégulateurs du marché : l'Etat au contraire doit intervenir pour atténuer les fluctuations cycliques (§2).
P. Enfantin, "Considérations sur les progrès de l'économie politique dans ses rapports avec l'organisation sociale. Deuxième article", Le Producteur, t. V, n° 1, p. 21.
P. Enfantin, "Considérations sur les progrès de l'économie politique dans ses rapports avec l'organisation sociale. Premier article", t. IV, n° 3, p. 381-382. Enfantin précise comment J.-B. Say a limité "la place distincte de l'économie politique, entre la statistique et la politique" (loc.cit.), et il annonce son intention de s'opposer à cet économiste "en combattant la manière dont ce savant économiste a établi cette distinction" (loc. cit.).