c - Thésaurisation des riches oisifs et déclenchement des crises.

Comme les autres socialistes ou comme les industrialistes de leur époque, les saint-simoniens reprochent aux riches oisifs d'exercer leur pouvoir financier de manière perverse : en réduisant volontairement leur consommation, ils restreignent les débouchés potentiels pour l'industrie. en constituant des "amas d'or", ils bloquent la circulation de monnaie et par conséquent la circulation des richesses : les travailleurs, dans ces conditions, ne peuvent plus exercer leur activité.

En suivant cette stratégie perfide, les rentiers oisifs, qui, aux yeux des progressistes de l'époque se recrutent essentiellement dans les rangs des légitimistes se livreraient à un calcul diabolique : accusant les travailleurs d'avoir fomenté la révolution de juillet pour les déposséder de leur pouvoir et de leurs privilèges ancestraux, ils se priveraient volontairement de consommer afin de les affamer.

Les saint-simoniens adhèrent dans une large mesure à cette critique des rentiers du sol, qui détenaient tous les pouvoirs sous l'Ancien régime de la Restauration restaurée, même s'ils pensent qu'un tel sacrifice doit paraître bien lourd à des individus aussi futiles, plus habitués à dilapider des richesses en dépenses inutiles qu'à contrecarrer leur penchant pour le luxe : "Vous savez, écrit I. Péreire, qu'un des reproches les plus graves que l'industrie souffrante adresse aux partisans de Charles X, c'est que, dit-on, ils restreignent leur consommation afin d'augmenter la gêne des travailleurs" 583 .

Dans le débat entre les partisans de la dépense et ceux de l'épargne qui se développait à l'époque, les saint-simoniens se rangent sans ambiguïté du côté des premiers. Ce n'est pas une vertu que l'épargne représente, mais un vice. C'est sans doute même un crime lorsque les riches consommateurs cessent volontairement leurs achats pour désorganiser tout le système productif dont dépend l'existence même des travailleurs.

Les saint-simoniens, nous l'avons dit, sont au nombre des partisans de la dépense, dans la querelle politique qui oppose ces derniers aux partisans de l'Ancien Régime, mais ils estiment aussi que leur analyse est superficielle et d'une portée théorique très limitée. Ils ne pensent pas qu'on puisse mettre l'existence des crises sur le seul compte de la stratégie adoptée par une catégorie sociale en réaction aux événements politiques du moment, aussi puissante et aussi organisée soit-elle,

Mais une telle analyse , en cherchant une cause politique exogène à la crise qui de fait dure depuis 1826 tend à dédouaner le système économique en faisant l'économie d'une réflexion véritable sur les causes de son dysfonctionnement.

Notes
583.

I. Pereire, "Industrie", Le Globe, 10 septembre 1831.