L'analyse chez les saint-simoniens du rôle de la rente dans le fonctionnement de l'économie est très intéressante car elle s'élève contre le courant dominant dans la tradition économique française, qui va de Cantillon à J. B. Say, en passant même par les économistes monétaires comme Quesnay, et qui attribue aux propriétaires fonciers un rôle important dans la bonne marche de l'économie grâce à l'utilisation qu'ils font de leur revenu dont ils peuvent disposer à leur guise.
Par rapport à cette tradition analytique, les saint-simoniens opèrent un renversement total de perspective idéologique : ce n'est pas grâce aux capitalistes rentiers que le système productif fonctionne, c'est à cause d'eux qu'il traverse nécessairement des crises périodiques de surproduction alors même que le niveau de vie des travailleurs est déjà très bas en temps ordinaire.
Nous pouvons rappeler l'analyse que présente Isaac Péreire, dans ses Leçons sur l'industrie car elle expose bien le point de vue définitif des saint-simoniens sur l'inutilité des rentiers dans le processus de la circulation : "La cause permanente de la souffrance, celle qui est la plus directe, ce sont les redevances que le travail paie à l'oisiveté ; ce sont en d'autres termes les produits que l'industrie consacre à l'entretien d'hommes complètement inutiles à la société" 586 .
Si l'industrie ne parvient pas à écouler ses produits, si elle doit faire face à une situation chronique de surproduction, c'est parce qu'elle confrontée au double écueil de la sous consommation des classes populaires qui disposent de revenus trop faibles et de la consommation aléatoire de capitalistes qui disposent de revenus trop élevés.
Ainsi la cause fondamentale des crises économiques réside dans l'existence même, au sein du système capitaliste, d'une large sphère rentière qui exerce une influence déflationniste sur le fonctionnement du système productif.
Ibid.