Dans le domaine de la politique financière, une controverse significative s'était développée en France, au XIXe siècle, entre les partisans d'un Etat cher et ceux d'un gouvernement bon marché 596 . Une ligne de fracture apparaît sur cette question entre les monarchistes et les républicains qui se présentent le plus souvent comme les défenseurs d'un gouvernement bon marché : ces derniers associent en effet les dépenses gouvernementales aux fastes de la cour d'Ancien Régime, qui avaient généré une dette colossale ou encore aux salaires injustifiés de fonctionnaires, militaires ou magistrats, qui avaient hérité de leur charge ou l'avaient achetée alors même qu'ils sont incompétents.
Les saint-simoniens sont, eux aussi, très critiques envers ces types d'emplois qui réapparaissent en grand nombre sous la Restauration : comme ils sont obtenus le plus souvent par héritage, lis représentent ce qu'ils détestent le plus, les privilèges de la naissance, c'est à dire l'injustice la plus insupportable à leurs yeux.
Les saint-simoniens accompagnent les républicains sur ce point, mais sur la question de l'Etat en général, c'est à un autre débat qu'ils participent et c'est dans le cadre d'un autre clivage qu'ils se situent pour l'essentiel. Peu après la Révolution de 1830, ils sont persuadés que la France renverse le passé [et] prépare l'avenir. Or, c'est bien le passé que représente, d'après eux, "le régime fondé sur la légitimité du droit de naissance" 597 . Comme tel il est appelé à disparaître inéluctablement, et il n'est pas opportun de discuter à l'infini de la disparition de l'Etat féodal qui immanquablement doit survenir.
Le débat, estiment-ils, n'est plus entre les partisans du passé et ceux de l'avenir, mais à l'intérieur même du camp des partisans de l'avenir, entre les libéraux qui veulent un Etat minimal, et les interventionnistes dont ils font eux-mêmes parti, qui veulent un Etat puissant et efficace, acteur à part entière de l'activité économique et de la vie sociale.
Ils reprochent aux libéraux qui ne veulent voir que l'aspect négatif du prélèvement fiscal leur conception simpliste du budget de l'Etat et de la fonction économique et financière qu'il doit remplir.
Mais disent-ils, "ce n'est que pure négation que ce système" 599 . Contre les libéraux, ils proposent une vision beaucoup plus positive et optimiste de l'Etat qui, à leur avis doit jouer un rôle primordial d'organisateur de la circulation pour "développer l'activité, la capacité des hommes […] répandre la vie, le mouvement" 600 .
Le camp républicain était, en effet, largement acquis aux idées libérales en 1830. Or les saint-simoniens se sentent assez proches des républicains dans le combat politique contre le régime de Charles X, et ils regrettent d'autant plus ce libéralisme des républicains qu'ils estiment dû à une profonde méconnaissance des principes de la circulation.
Pour eux, l'Etat doit se donner les moyens d'organiser la circulation, et les impôts précisément sont un moyen privilégié pour atteindre ce but : ils essaient d'en convaincre les républicains dans de nombreux articles du Globe dans lesquels ils font intervenir l'Etat lorsqu'ils essaient d'envisager la solution la plus souhaitable à des questions d'actualité assez épineuses.
Idem.Voir, par exemple, sur cette question, I. Tchernoff, Le Parti républicain sous la monarchie de juillet, A. Pedone, 1901, p. 71. Les républicains de 1830 ne conçoivent l'Etat que sous une forme monarchique, comme une institution dépensant le plus clair de ses ressources à entretenir une caste de privilégiés, seuls capables d'accéder aux sinécures des emplois publics : l'objectif principal, pour eux, en matière budgétaire, est d'alléger les charges supportées par les classes pauvres. En outre, sans doute entre-t-il aussi, une certaine dose de démagogie dans les idées fiscales des républicains de l'époque ?
"France", Le Globe, 3 juin 1831.
Idem
Ibid.