c - La centralisation du budget doit être menée parallèlement à la centralisation des banques.

Les saint-simoniens n'étaient pas seuls, au début des années 1830, à défendre l'idée d'une baisse des impôts indirects et d'une augmentation des impôts fonciers directs. Certes, cette revendication était largement exprimée dans les partis et mouvements populaires de l'époque, mais elle est quand même exprimée chez eux avec une insistance et une vigueur particulière qui les distingue des autres courants.

Leur originalité vient sans doute du fait que cette revendication s'intègre très bien dans le programme de réforme budgétaire qu'ils proposent : du côté des recettes, affirment-ils, le budget doit être simplifié au maximum et reposer sur un impôt unique sur le revenu dans lequel l'impôt foncier représente un pourcentage très important ; du côté des dépenses, le rôle du budget doit être accru, ses compétences élargies, et il doit subvenir à l'ensemble des dépenses socialement utiles.

Un budget établi sur de tels principes, établissant en outre des relations organiques avec les banques, pourrait centraliser la totalité des revenus et serait un organisateur primordial de la circulation des richesses. Ce système avait été présenté lors de la septième leçon de l'Exposition de la Doctrine.

Dans ce système général de banques, les fonctions de la banque centrale et celle du budget se rejoignent jusqu'à ce que ces deux institutions se confondent et agissent en osmose.

Nous présenterons plus précisément cette conception saint-simonienne de l'organisation financière, mais ce qui nous importe ici, c'est qu'à partir du prélèvement d'un impôt unique sur le revenu, assis dans une large mesure sur les revenus de la propriété foncière, l'Etat, à travers son budget parvient à organiser de manière centralisée la circulation monétaire.

Grâce aux moyens institutionnels dont il dispose, l'Etat, tel que le conçoivent les saint-simoniens, a le pouvoir d'accélérer la circulation monétaire : les richesses circulant plus vite et en plus grande quantité sont évidemment bien plus mobiles. Cette mobilisation des richesses est très favorable à leur redistribution entre les différentes classes de la société puisque la répartition des fortunes ne peut plus être figée au seul bénéfice des rentiers du sol : "la circulation des richesses, écrit en effet Enfantin, exprime toujours le passage des produits d'une main à l'autre" 613 .

D'après la théorie saint-simonienne de la circulation, le montant des richesses créées dépend de la quantité des avances productives accordées aux travailleurs. Ainsi la croissance de la production est parallèle au développement des relations de confiance ou de crédit.

Dans un article du Globe, Guéroult exprime cette idée unanimement acceptée par les saint-simoniens. "C'est le perfectionnement du crédit, qui, en facilitant les échanges augmente incessamment la richesse sociale, multiplie les instruments de travail" 614 .

Or, l'importance des crédits accordés dépend quasi exclusivement pour les saint-simoniens du niveau du taux d'intérêt. Cet instrument se trouve ainsi au cœur du processus de la circulation dans l'analyse saint-simonienne.

Notes
613.

Enfantin, "De la circulation", Le Producteur, t. IV, n° 1, p. 39.

614.

"Banque d'escompte", Le Globe, 10 février 1831. Il s'agit d'un commentaire du journal sur un projet de banque adressé par Guéroult au préfet de la Seine (cf. infra n. 5, p. 270).