La structure des taux telle que la décrivent les saint-simoniens, permet à la spéculation de prendre le pas sur la production avec l'aggravation des déséquilibres et le développement des activités parasitaires que cela implique: "un pareil danger doit être évité, parce qu'il fait chercher la fortune à une source corrompue, l'agiotage, le jeu, au lieu de la solliciter par le travail qui seul est réellement productif" 631 .
Ainsi l'ignorance et la cupidité qui pousse les capitalistes recherchant le rendement le plus élevé possible à spéculer sur les taux d'intérêt est la première responsable des perturbations cycliques de la production : des "oscillations, dit Enfantin, [dans lesquelles] l'industrie s'égare" 632 .
Ces intentions spéculatives sont particulièrement regrettables, pour les saint-simoniens, lorsqu'elles se manifestent chez les dirigeants de la Banque de France qui, du point de vue des industriels, ont pour mission d'assurer la stabilité du système financier et de moraliser son fonctionnement.
P. Enfantin, "Des banques d'escompte", Le Producteur, t. II, n° 16, p. 114. Pour Enfantin, l'affaire des assignats est l'exemple parfait de la dérive spéculative prenant sa source dans des arbitrages contestables et donnant lieu à toutes les manipulations financières possibles, à la limite souvent des pratiques frauduleuses. Le risque encouru par les spéculateurs est du reste assez limité lorsqu'ils spéculent sur des fonds publics qui bénéficient dans tous les cas de la garantie des pouvoirs publics. Une telle spéculation sur les fonds publics, par conséquent, est d'autant plus immorale que les occasions de profit sont très grandes, que le risque encouru en contrepartie est réduit et que les bénéfices sont réalisés sur le bien commun de la collectivité. En ce qui concerne les assignats, rappelons que l'Assemblée nationale avait décrété, en décembre 1789, la mise en vente de domaines appartenant à la noblesse et au clergé. Elle avait estimé la valeur de ces biens à 400 millions de francs et elle avait émis en contrepartie 400 millions de bons hypothécaires. Ces bons émis par le Trésor devaient permettre à celui-ci de rembourser la Caisse hypothécaire : ils étaient réservés à l'achat par assignation des biens confisqués à la noblesse et au clergé, d'où leur nom d'assignats. Ils conféraient ainsi un droit préférentiel à leurs détenteurs. Dès leur apparition, ils donnèrent lieu à toutes sortes de manipulations : leur émission, qui devait se limiter à 400 millions, s'élevait déjà en 1794 à près de 8 milliards ; elle était incontrôlée et cela permit à des profiteurs sans scrupules d'acheter des biens nationaux avec des bons, faisant office de monnaie, qui étaient en fait totalement dépréciés.
Idem.