Deux logiques opposées, aux yeux des saint-simoniens, s'affrontent à leur époque dans le mode de fonctionnement de l'économie : une première logique industrielle qui exerce une pression à la baisse du taux d'intérêt et une deuxième logique capitaliste qui fait obstacle à la baisse du taux d'intérêt.
La théorie saint-simonienne pose comme principe fondamental que le taux d'intérêt est amené à baisser graduellement au fur et à mesure du développement inéluctable de l'industrie. Même si les banquiers capitalistes ont assez d'influence pour faire obstacle à la baisse de ce taux, la logique industrielle doit l'emporter car le travail doit, à terme, prévaloir sur l'oisiveté. Il ne peut en être autrement, c'est pour les saint-simoniens dans la nature des choses : l'industrie crée, transforme connaît une évolution continuelle alors que le domaine de la rente végète et vit sur ses acquis hérités du passé.
Les banques dirigées par les capitalistes tentent de s'opposer au mouvement de baisse du taux d'intérêt, mais elles ont peu de chances d'y parvenir et normalement elles ne peuvent que le ralentir : "elles le font [elles baissent le taux d'intérêt], pour ainsi dire, malgré elles, et uniquement parce que le perfectionnement des relations de crédit a nécessairement cet effet ; elles se considèrent comme destinées à suivre le mouvement que les transactions opérées hors de leur sein leur impriment, et non à la donner elles mêmes" 685 .
Les saint-simoniens envisagent l'évolution économique avec optimisme lorsqu'ils prédisent que l'avènement de l'association universelle du travail se réalisera grâce aux profondes transformations que l'organisation de la banque imposera au système productif. C'est pour accélérer le cours normal de l'histoire et le faire pencher plus vite dans un sens favorable aux travailleurs qu'ils mènent leur propagande avec autant de conviction.
Cette propagande, doivent-ils penser, est encore plus nécessaire pendant les périodes de crise qui, avec l'exacerbation de la concurrence, risquent d'entraîner une grave détérioration de la situation des travailleurs dans le conflit qui les oppose aux oisifs : la crise économique, en effet, réduit le pouvoir ainsi que le champ d'action des industriels et, parallèlement, elle ouvre aux rentiers la perspective d'occuper l'espace social laissé vacant par ces industriels en difficulté.
Ainsi la forte réduction de l'activité industrielle qui survient avec la crise libère un vaste domaine pour les banquiers capitalistes. Comme l'investissement des entreprises est déprimé, à un niveau très bas, les occasions qui s'offrent à ces banquiers de prêter de l'argent aux industriels sont peu nombreuses : aussi vont-ils s'efforcer d'orienter leurs placements vers des affectations beaucoup plus spéculatives pour retire le profit maximum "des capitaux qu'ils consacrent à la fondation de ces établissements" 686 , les banques capitalistes comme nous l'avons dit.
Le comportement de la Banque de France suscite beaucoup d'inquiétude chez les saint-simoniens : le fait que cet établissement, qui devrait jouer un rôle si important dans le financement de l'industrie, se désintéresse totalement de cette mission pour apporter un soutien sans faille aux propriétaires capitalistes peut avoir une influence très négative sur le rythme du développement industriel à venir.
Ibid. Dans sa "Troisième Leçon sur l'industrie" publiée dans Le Globe du 17 octobre 1831, Isaac Pereire prédit également avec force le mouvement irrésistible de baisse du taux d'intérêt.
Ibid.