b - La Banque de France privilégie la distribution de dividendes élevés aux rentiers.

b1 - La Banque de France exploite sa situation de monopole.

La Banque de France est bien représentative, pour les saint-simoniens, du comportement des banquiers capitalistes qui cherchent à consolider les positions rentières pendant les périodes difficiles : "Cet établissement, écrit Isaac Péreire, est plutôt constitué dans l'intérêt des capitalistes que dans celui des travailleurs" 687 .

Or l'intérêt des actionnaires réclame des dividendes élevés : de ce fait, "la banque de France est préoccupée avant tout par le désir de répartir de beaux dividendes" 688 . Ces dividendes importants touchés par les banquiers capitalistes qui composent le conseil des régents de la banque de France sont le fruit d'un taux de profit élevé, et ce profit lui-même est la conséquence des bénéfices réalisés par la banque lors des opérations de crédit : c'est pourquoi, explique Isaac Péreire, "elle a toujours repoussé la proposition de réduire le taux de ses escomptes" 689 .

Au cours des périodes de crise, l'ensemble des prix est tiré vers le bas, et pendant ce temps, les profits du capitalisme rentier, alimentés par les dividendes distribués par la banque de France se maintiennent à un niveau élevé. Ces profits qui restent élevés en valeur absolue dans une situation déflationniste augmentent en réalité de manière significative en valeur relative par rapport aux revenus du travail. Le constat établi par Decourdemanche, d'après lequel le prix des loyers augmentait pendant que les faillites d'entreprises industrielles se multipliaient, est alors vérifié 690 .

L'iniquité d'une telle situation financière trouve en grande partie son origine, pour Isaac Péreire, dans la stratégie de la Banque de France qui abuse de sa situation de monopole. La banque de France, d'après lui, adopte le comportement ordinaire d'un monopole qui, pour réaliser un profit plus important, préfère réduire les quantités et augmenter les prix : c'est bien parce qu'elle "a toujours repoussé la proposition de réduire le taux de ses escomptes" 691 que la Banque de France "est obligée de restreindre considérablement ses opérations 692 .

Notes
687.

Isaac Pereire, "Industrie", Le Globe, 17 octobre 1831. Quelques temps auparavant, dans Le Globe, du 4 avril de la même année, Enfantin, nous l'avons vu (cf. supra p. 233) avait adressé ce même reproche à l'ensemble des banques : il les accusait de refuser leur concours aux travailleurs, qui pourtant devaient alors faire face à de graves difficultés, en ne baissant pas leurs taux d'intérêt pour distribuer un revenu élevé à leurs propriétaires, et il les rendait par là responsables de la crise. Au-delà de leur critique commune à l'encontre des banquiers capitalistes, on peut discerner quelques nuances entre l'analyse d'Enfantin et celle d'Isaac Pereire. Alors qu'Enfantin englobe tous les banquiers capitalistes dans sa critique, Isaac Péreire réserve plus précisément ses attaques aux propriétaires de la Banque de France qui "escompte, écrit-il dans son article, à un taux plus élevé que les banquiers eux-mêmes". La critique du monopole de la Banque de France est, en effet, un cheval de bataille des frères Péreire. Tout au long de leur vie, ils se sont élevés contre le monopole d'émission dont elle bénéficiait : en 1867 encore, ils publiaient le résultat d'une enquête qui tendait à remettre en question ce monopole. Ils ont en même temps cherché à battre en brèche ce monopole à travers leur activité de banquier : c'était leur objectif avoué lorsqu'ils ont fondé le Crédit mobilier en 1852 ou encore lorsqu'ils ont repris la Banque de Savoie en 1863. On peut toutefois se demander si leur critique de la Banque de France formulée à ces occasions avait une seule dimension théorique, fondée sur des réminiscences saint-simoniennes ou si elle poursuivait un intérêt plus immédiat, la Banque de France faisant de l'ombre à leur propre activité de banquiers. Sur la Banque de Savoie on peut consulter Jean Bouvier, "Les Péreire et l'affaire de la Banque de Savoie", Cahiers d'histoire, Lyon, 1960, t. V, n° 4, p. 383-410 ou encore la thèse de Thierry Duverny, ss la dir. de B. Courbis, La Banque de Savoie (1851-1865), Lyon 2, 1991.

688.

Idem.

689.

Ibid.

690.

On peut se reporter ci-dessus p. 248-252 aux commentaires sur l'article publié par Decourdemanche dans Le Globe du 12 avril 1831.

691.

I. Pereire, "Industrie", Le Globe, 17 octobre 1831.

692.

Idem.