b - Un rapprochement étonnant entre les saint-simoniens et les économistes classiques anglais quant à la nature de la monnaie.

La notion de marchandise est présente tout au long de l'évolution monétaire décrite par les saint-simoniens : c'est d'abord une marchandise en effet qui remplace le troc originel ; l'or ensuite est une marchandise d'un genre particulier ; la monnaie de papier remplace l'or et fait office de marchandise.

En même temps, l'or monnaie marchandise, et plus tard la monnaie de papier, ne modifient pas les rapports d'échange : la monnaie est un simple voile qui facilite les transactions.

Une telle proximité théorique entre les auteurs libéraux du XIXe siècle et les saint-simoniens peut sembler surprenante : comment ces derniers peuvent-ils adhérer à l'idée d'une monnaie marchandise alors que toute leur action politique vise à combattre l'influence des marchés dans l'organisation économique ?

On peut trouver, sans doute, un premier élément de réponse dans le fait que leurs analyses ont souvent été élaborées à la hâte, dans l'urgence d'un combat politique mené avec acharnement, et qu'ils n'ont pas eu le temps de vérifier la cohérence théorique de leurs différents articles, rapports ou conférences.

Sans doute aussi peut-on l'expliquer par l'admiration qu'ils nourrissaient envers les classiques anglais et plus encore envers J.-B. Say ? Ils ont pensé que les écrits de ces auteurs constituaient un perfectionnement 726 dans le domaine de l'analyse économique et que, dans un premier temps, il était nécessaire de les comprendre et d'assimiler leurs leçons.

Dans tous les cas cependant, ce rapprochement avec les économistes classiques, ou avec J.-B. Say, nous semble d'autant plus surprenant, qu'en se fondant sur la notion de crédit, les saint-simoniens développent une véritable analyse monétaire en rupture totale avec la conception classique d'une monnaie marchandise neutre.

Notes
726.

Pour corroborer cette idée, on peut rappeler l'admiration d'Isaac Péreire envers "les beaux travaux de Quesnay, de Smith, et de tous les économistes anglais" ("Industrie", Le Globe, 10 septembre 1831). A partir de ce jugement on peut comprendre la propension des saint-simoniens à reproduire, partiellement au moins, les analyses de ces auteurs auxquels ils se réfèrent. On peut aussi avoir quelque réticence, comme nous l'avons dit, quant à certaines de leurs analyses formulées de manière un peu hâtive : il est en effet difficile de justifier un rapprochement entre Quesnay et Smith, ou Ricardo, en ce qui concerne la conception de la monnaie.