Pour les saint-simoniens, les interrogations relatives à la nature de la monnaie, à sa quantité ainsi qu'à sa valeur sont intéressantes car elles sont décisives pour comprendre le fonctionnement d'une économie monétaire : il faut se débarrasser des conceptions du passé ; ils se sont ainsi souvent moqués des "amas d'argent" 773 constitués par les oisifs, du fétichisme de "l'argent [qui] a porté de graves atteintes à la prospérité des nations" 774 , qui en particulier a précipité la ruine de "l'Espagne [ou de] l'Orient qui thésaurisent" 775 .
Mais ces querelles sont uniquement intéressantes dans la mesure où elles permettent d'envisager le soutien monétaire d'une économie industrielle. C'est pour eux la différence entre une approche tournée vers une économie politique abstraite et une approche tournée vers une économie industrielle directement orientée vers la production des richesses et le soutien des travailleurs. Les opportunités offertes par la monnaie, qu'elle soit de métal ou de papier, doivent être utilisées dans l'intérêt de ces derniers. C'est aux banques de mettre en œuvre toutes les potentialités offertes par l'instrument monétaire : d'assurer la gestion de la monnaie en fait. L'attitude des saint-simoniens à l'égard du monopole de la Banque de France est alors très critique car à leurs yeux elle n'honore pas sa mission auprès des producteurs.
La France, regrettent les saint-simoniens, est début du XIXe siècle un pays sous monétarisé parce qu'il possède un système bancaire peu efficace. La première cause de ce manque d'efficacité est liée, pensent-ils, au monopole de la Banque de France qui adopte une attitude beaucoup trop malthusienne en imposant des conditions très strictes pour admettre des effets de l'escompte. La deuxième cause d'inefficacité provient, à leur avis, d'une organisation de la banque archaïque incapable de financer l'industrie dans des conditions de visibilité convenables parce qu'une direction commune lui fait encore cruellement défaut.
Ainsi, pour améliorer l'organisation financière de la France, les saint-simoniens proposent en premier lieu de supprimer le monopole de la Banque de France et en second lieu de mettre en place un système bancaire hiérarchisé avec une centralisation poussée des ressources et des informations. Ces deux mesures doivent permettre, de leur point de vue, de contrôler le niveau du taux d'intérêt et de le baisser, si possible, grâce à une circulation plus abondante de la monnaie et à une affectation plus rationnelle des ressources.
Ces deux mesures possèdent chacune leur logique interne, mais leurs logiques respectives ne coïncident pas forcément au premier abord. Aussi nous demanderons-nous, pour essayer de comprendre l'originalité du système envisagé par les saint-simoniens, comment ils pensent faire coexister des organisations financières indépendantes dans un système très fortement intégré et comment ils envisagent le fonctionnement de ce système sans que la banque centrale occupe la position prééminente du monopole d'émission.
P. Enfantin, " De la circulation", Le Producteur, t. IV, n° 1, p. 44.
I. Pereire, "Industrie", Le Globe, 10 septembre 1831
Idem. Voir supra p. 280.