A la fin des années 1820, la Banque de France occupe une position hégémonique dans le système financier du pays et les décisions prises par ses dirigeants ont une influence décisive sur le fonctionnement de l'économie nationale. Or celles-ci ne vont pas dans le sens souhaité par les saint-simoniens qui s'opposent avec d'autant plus de détermination que l'enjeu politique leur semble d'une importance capitale, dans la mesure où ces décisions, estiment-il, engagent l'avenir financier du pays.
La création de cette banque remonte au 18 janvier 1800, date où fut décidée la fondation d'une banque d'escompte et de circulation d'un capital de 30 millions de francs se composant de 30.000 actions de 1.000 francs chacune. Cette banque résulta de la réunion d'une Banque de France alors en gestation et de la Caisse des comptes courants 776 , alors en activité depuis 1796, qui ce 18 janvier 1820 décida sa dissolution lors de son assemblée générale et sa fusion dans le nouvel établissement financier.
Comme la création de cette banque répondait au vœu de Bonaparte, alors premier consul, qui souhaitait ardemment une centralisation du crédit, elle reçut dès le début un soutien gouvernemental affirmé : elle bénéficia de nombreux avantages, parmi lesquels la gestion des fonds de loterie ainsi que le service des rentes et pensions du gouvernement 777 .
En 1803, elle obtient le privilège exclusif d'émettre des billets de banque 778 . Ce privilège de la Banque de France est exorbitant, pour les saint-simoniens, d'autant plus qu'elle peut l'exercer comme bon lui semblait : cette banque en effet est indépendante du gouvernement et son indépendance est solidement garantie par son statut de société de droit privé ; mais elle bénéficie pourtant du soutien indéfectible de l'Etat du fait que celui-ci est son principal actionnaire. Les dirigeants de la Banque de France profitent ainsi d'une situation exceptionnellement, voire anormalement, favorable puisqu'ils cumulent deux avantages : ils ont la garantie d'une indépendance dont ils n'assument pas les risques.
Les saint-simoniens dénoncent de manière incessante l'ambiguïté de cette situation institutionnelle. Ils comptent au nombre des adversaires les plus déterminés de l'action de la Banque de France : ils critiquent son monopole d'émission et surtout la façon dont ses dirigeants en usent.
Sur les circonstances de la création de la Banque de France et sur la manière dont elle a obtenu le statut de monopole d'émission, on peut consulter A. Courtois, op. cit., p. 110-132.
Voir encore à ce sujet A. Courtois, op. cit., p. 114
Idem, p. 115. Par ailleurs, Gilles Jacoud, Le billet de banque en France (1796-1803), de la diversité au monopole, L'Harmattan, 1996, a montré comment les billets de banque apparaissent en France après la disparition des assignats, seul instrument de paiement autorisé pendant la période révolutionnaire. L'ouverture de la Caisse des comptes courants, en 1796, qui émet des billets de circulation sur Paris, marque une étape décisive. Le 16 février 1800 les actionnaires de cette Caisse des comptes courants suivent l'avis de Perrégaux, favorable à la réunion avec la Banque de France.