a - Une critique permanente de l'action de la Banque de France.

a1 - L'action de la Banque de France n'est pas guidée par le sens de l'intérêt général.

Le conseil d'administration de la Banque de France se compose de quinze régents issus pour la plupart de la Haute banque, formant le groupe des banquiers capitalistes décriés par les saint-simoniens. Dès sa fondation en 1800, la Banque de France, nous l'avons vu, a un statut juridique très favorable qui lui garantit en même temps son indépendance à l'égard du gouvernement et le soutien de ce même gouvernement.

Ses régents comptent bien mettre à profit les avantages que ce statut leur procure : "La Banque de France, écrit Perrégaux, est libre par sa création […] indépendante par ses statuts[…]. Lorsqu'elle traite avec le gouvernement, ses transactions prennent le caractère qu'elles doivent avoir avec un gouvernement libre : elle ne négocie avec lui que lorsqu'elle montre ses convenances et le complément de ses libertés ; enfin elle est absolument hors de lui" 779 .

L'interprétation des statuts de la Banque de France par son président montre bien son orientation financière : elle n'a pas l'intention de s'embarrasser de contraintes gouvernementales liées à la politique économique du pays ; elle compte bien agir comme une institution indépendante attirée en premier lieu par la recherche de ses intérêts propres.

Or c'est bien ce que reprochent précisément les saint-simoniens aux régents de la Banque de France : faire passer leurs intérêts particuliers avant l'intérêt général du pays : "La banque de France, écrit Enfantin, agit plutôt en capitaliste oisif qu'en travailleur [et] ses dirigeants [qui] en tant qu'actionnaires ne sont que des oisifs [cherchent avant tout] un dividende plus fort" 780 .

Isaac Péreire porte la même accusation à l'encontre de la Banque de France : "la banque de France est infidèle à sa mission : elle exploite son privilège dans l'intérêt des ses actionnaires plutôt que dans celui des travailleurs" 781 .

Le développement de la Banque est une grande chance pour l'industrie, mais cette chance n'est pas exploitée car "la constitution actuelle des banques [est] devenue vicieuse [et elle] n'est plus en harmonie avec les besoins nouveaux" 782 . Pour les saint-simoniens, nous l'avons vu, la faute en revient surtout à la Banque de France qui occupe une situation institutionnelle très favorisée dans l'organisation financière et qui n'en fait absolument pas profiter la collectivité parce que ses dirigeants sont obnubilés par la distribution des dividendes. Elle ne poursuit aucun objectif de politique économique, comme l'admet du reste Perrégaux et l'ambition, dans ce domaine, lui fait cruellement défaut.

Notes
779.

Cité par A. Courtois, op. cit., p. 113. Alphonse Perrégaux fut le premier président de la Banque de France. Il soutint l'admission de Jacques Laffitte au sein de la Banque et il favorisa ensuite son ascension au sein de cet établissement. Les saint-simoniens, nous le savons, tiennent Jacques Laffitte en grande estime : ils lui ont consacré, en tant que banquier, des articles élogieux comme celui d'Enfantin, paru dans Le Globe du 15 février 1831, Les oisifs et les travailleurs. Necker, M. Laffitte, Saint-Simon. Normalement, Perrégaux devrait passer, comme Jacques Laffitte, pour un de ces banquiers qui ont, à leurs yeux, beaucoup œuvré pour le développement de l'industrie et qui ont ainsi beaucoup aidé les travailleurs : ils peuvent alors estimer que, comme J. Laffitte, celui-ci a agi de son mieux dans un milieu hostile et que cela n'est pas allé sans certaines compromissions inévitables.

780.

P. Enfantin, "Les oisifs et les travailleurs", Le Globe, 14 mars 1831. Le dividende pouvait atteindre 6 %, un rendement déjà appréciable quand le taux d'escompte, à titre de comparaison, était fixé à 4 %. En outre, ce taux de 6 % pouvait être augmenté des produits de la réserve placée en rentes sur l'Etat(A. Courtois, op. cit., p. 115). Ces dispositifs permettaient bien par conséquent aux actionnaires de la Banque de France d'empocher de confortables rendements, comme les en accusent les saint-simoniens.

781.

Isaac Pereire, "Industrie", Le Globe, 13 novembre 1831

782.

Idem.