b - Le rôle du trésor comme banque générale du gouvernement industriel.

b1 - Le trésor doit jouer un rôle croissant.

Les saint-simoniens voient dans le rôle croissant joué par le trésor l'illustration de la centralisation inéluctable du système financier et l'implication de plus en plus grande du gouvernement dans le contrôle de la circulation monétaire.

Ils constatent, en 1830, que le trésor est d'ores et déjà très apprécié par les capitalistes : ceux-ci, en effet, choisissent souvent de placer leurs fonds disponibles auprès de cette institution financière, qui étant chargée du financement de la dette publique, offre de fait une très grande sécurité à leurs capitaux : "[Le trésor] est devenu [le meilleur débiteur de France] : les capitalistes […] n'ont pas tardé à voir quel accroissement de sécurité ils devaient trouver là et ils ont fait du trésor leur caissier" 811 .

Cette évolution est très rapide, se félicite Enfantin : peu de personnes auraient cru, "[il y a] même seulement quelques années" 812 que cette institution acquerrait une telle importance.

Le trésor est au cœur de l'appareil financier de l'Etat et, même si vers 1830 il est encore assez embryonnaire, il est appelé, pensent les saint-simoniens à se développer très rapidement. Le trésor, en effet, est relié au réseau des "caisses d'épargne [qui] réclament son concours [et] cherchent en lui leur sécurité" 813 .

A travers ces "caisses d'épargne [qui] réclament […] le concours du trésor public et [qui] cherchent […] en lui leur sécurité" 816 , Enfantin voit s'esquisser une institution financière publique appelée à jouer un rôle politique de premier ordre. Cette institution, pensent généralement les saint-simoniens, doit être mise au service des travailleurs le plus rapidement possible. Du reste, cet objectif doit être assez facile à atteindre, espèrent-ils encore, car l'intérêt du trésor public semble déjà reconnu de manière unanime.

Enfantin rapporte ainsi dans le Globe les propos de "M. Baillot [qui] disait dans un discours sur la dette publique [que] le trésor est le meilleur débiteur de France" 817 . Comme l'opinionde la population, y compris même l'opinion des capitalistes, est favorable au trésor public, les résistances à vaincre pour développer les fonctions monétaires de cette institution et pour les mettre au service des travailleurs seront, pensent les saint-simoniens, moins importantes.

Notes
811.

P. Enfantin, "Politique saint-simonienne. Les banques", Le Globe, 28 avril 1831.

812.

Idem.

813.

Ibid. Les premières caisses d'épargne sont apparues en Suisse à la fin du XVIIIe, puis en Angleterre à partir de 1810. En France la première de ces institutions fut fondée par Benjamin Delessert en 1818, dans le but de procurer à l'épargne populaire une opportunité de placement doté d'une garantie solide à l'abri de toute manœuvre spéculative. Le dépôt minimum, pour être accessible à tous, était de 1 franc, et il garantissait le versement d'un intérêt capitalisé en fin d'années. Ce type d'institution, qui faisait participer le plus grand nombre d'habitants au financement du développement de l'industrie, recevait l'entière approbation des saint-simoniens et leurs fondateurs caisses passaient à leurs yeux pour des bienfaiteurs de l'industrie dévoués aux intérêts des travailleurs. On peut lire, au sujet des premières caisses d'épargne en France, Séverine de Coninck, Banquiers et philanthropes, la famille D elessert (1735-1868), Aux origines des caisses d'épargne françaises, Economica, 2000.

816.

Ibid.

817.

Ibid. Enfantin se réfère vraisemblablement à Denis Baillot qui était un collaborateur de la Revue Encyclopédique.