B - Taux d’escompte et banque saint-simonienne.

a - Banque d’escompte et intermédiation financière.

Les saint-simoniens accordent une très grande importance à la création des banques d’escompte car celles ci jouent à leur yeux un rôle d’intermédiaires privilégiés entre les prêteurs et les emprunteurs de fonds disponible . Ces établissements doivent être "un bureau général de prêt et d’emprunt" 850 dont la fonction d’intermédiation est clairement définie : "leur but unique doit être […] de faire parvenir dans les mains de travailleurs […] les capitaux possédés par les oisifs" 851 .

Les banques d’escompte sont pour eux une institution exemplaire dont le fonctionnement est en général satisfaisant, dans la mesure où elles opèrent le transfert des capitaux "aux conditions les plus avantageuses" 852 . Enfantin, pour sa part, estime qu’elles sont"un des essais les plus remarquables qui aient été tentés pour perfectionner les moyens d’échanges ou la circulation des produits" 853 . Il regrette alors le "peu d’importance de leur action jusqu’à présent" 854 , car précise t-il dans un autre article du Producteur, elles sont appelées à se développer rapidement "par la nature des services qu’elles peuvent rendre à l’industrie" 855 .

Les relations à l'intérieur de la société féodale, la précédente époque organique des saint-simoniens se fondaient sur les corporations. Dans la société industrielle, la future époque organique, elles se fonderont sur "les banques d’escompte ou de prêt et d’emprunt" 856 . Et plus précisément ces banques d’escompte se réuniront au sein "d’une banque générale qui servirait de liens à tous les établissements spéciaux de crédit" 857 : on peut concevoir, dit Enfantin, qu’elles exercent la même fonction d’intégration collective que "les conseils supérieurs qui présidèrent autrefois aux intérêts de chaque corporation" 858 .

Les relations de prêt et d’emprunt synthétisent tous les échanges de la société industrielle. Or c’est la fonction des banques d’escompte d’organiser des relations de crédit : aussi peut-on dire qu’avec elles "on aura sous les yeux le modèle d’une partie importante de la constitution politique d’une société laborieuse" 859 .

D’ailleurs, le couple antagoniste emprunteur-prêteur est caractéristique de la société industrielle au même titre que le couple producteur-non producteur ou encore travailleur-oisif. On peut même dire que, pour les saint-simoniens, ils expriment dans l’ordre financier l’ensemble des relations sociales qui peuvent s’exprimer au sein de la société industrielle toute entière : producteur, non producteur ; travailleur, oisif ; emprunteur, prêteur ; ces mots, dit Enfantin, renferment toute la philosophie de l’industrie" 860 . C’est dire l’importance à leurs yeux des banques d’escompte qui, à travers le taux d'escompte, fixent les termes de cette relation entre les emprunteurs et les prêteurs.

Notes
850.

P. Enfantin, "Des banques d’escompte. Premier article", Le Producteur, t. II, n°. 14, p. 29.

851.

Idem.

852.

Ibid.

853.

P. Enfantin, "De la circulation", Le Producteur, t. IV, n° 1, p. 46.

854.

Idem. Nous avons vu le faible montant des effets escomptés en France (supra p. 235-236) et la contraction importante que ce montant a connu lors de la crise de 1831. La pratique de l’escompte semble en effet peu développée en France si on compare ce pays à l'exemple de l’Angleterre.

855.

P. Enfantin, "De la concurrence dans les entreprises industrielles", Le Producteur, t. III, n° 3, p. 400.

856.

Idem.

857.

Ibid.

858.

Ibid.

859.

Ibid. Enfantin accorde une grande attention à la validité épistémologique de ses analyses. Il essaie de construire le modèle financier d’une économie industrielle afin de dégager les lois universelles de son fonctionnement. Ce souci épistémologique s’exprime en particulier dans son article sur Les Banques d’escompte lorsqu’il écrit : " un homme de génie a dit que pour expliquer le système du monde, il fallait créer un monde imaginaire semblable au monde réel ; nous allons employer cette méthode pour exposer la théorie des banques" (Le Producteur, t. II, n° 14, p. 20). L’ homme de génie dont il parle est vraisemblablement Emmanuel Kant,qui tenta de fonder la compréhension de la réalité sur ces catégories a priori de la connaissance afin de constituer des modèles permettant d’ordonner le fonctionnement d’un certain ordre des choses. On retrouvera cette même démarche chez Max Weber qui tentera d’ordonner une réalité sociologique à partir de la construction d’un type idéal.

860.

P. Enfantin, "De la circulation", Le Producteur, t. IV, n° 1, p. 42, note 1.