c - Banques d’escompte et logique de l’assurance.

La convention signée entre les travailleurs et les oisifs est le résultat d’une négociation centralisée, chacun des deux groupes agissant par l’intermédiaire de ses représentants : "cette convention serait, dans notre hypothèse, écrit Enfantin, un contrat passé entre les chefs des producteurs, c’est à dire les plus industrieux, et les chefs des oisifs, c’est à dire les plus riches" 872 .

Les représentants de ces groupes s’entendent sur la prime de solvabilité qui, en fait, mesure le risque encouru par le prêteur. Cette prime de solvabilité entre clairement dans la convention de prêt. Les chefs des producteurs acceptent de verser cette prime pour envoyer le signal qu’ils prennent l’engagement ferme de rembourser la somme empruntée. "Ils [les chefs des producteurs] déterminent eux mêmes la prime de solvabilité que doit payer chaque producteur" 873 : ils se portent ainsi garant de chacun d’eux et ils donnent aux capitalistes prêteurs la garantie qu’ils seront remboursés.

Pour offrir cette garantie aux capitalistes la Banque Générale de Prêt et d’Emprunt, la banque centrale saint-simonienne d’escompte, qui se confond avec les chefs des producteurs fonctionne comme une compagnie d’assurance à l’égard de "chaque producteur" 874 ayant contracté un emprunt.

Ainsi les chefs des producteurs qui dirigent la banque générale demandent aux travailleurs de verser une cotisation, la prime de solvabilité, en contrepartie de laquelle ils les assurent contre les aléas, risquant de désorganiser leur activité, qui peuvent entraîner un défaut de paiement de leur part.

La banque se comporte, écrit Enfantin, "comme une compagnie d’assurance qui moyennant une prime parfaitement proportionnée au crédit réel des producteurs, garantirait le paiement des emprunts individuels contractés par eux, présenterait aux prêteurs primitifs, aux oisifs une certitude suffisante de remboursement" 875 .

On trouve ici l’idée très importante chez les saint-simoniens d’un rapprochement entre la banque et l’assurance. La même institution réunit les fonctions de la banque et celle de l'assurance puisqu’elle permet aux producteurs de se financer tout en les protégeant contre les risques d’insolvabilité qui peuvent les frapper. Comme les industriels ne seront plus jamais pris en défaut de paiement, qu’ils honoreront toujours leurs engagements, cette institution contribue à généraliser la confiance que les travailleurs doivent inspirer aux autres membres de la société, et en particulier aux capitalistes prêteurs.

Mais pour parvenir à ce but, cette organisation doit être fidèle aux principes fondamentaux du saint-simonisme :  l’association et la centralisation. Les travailleurs doivent s’associer pour être solidaires face à l’adversité et, en souscrivant à l’idée d'une Banque Générale de Prêt et d’Emprunt formulée par Enfantin, ils doivent se rassembler derrière une direction commune pour être efficaces face aux difficultés.

C’est en s’appuyant en même temps sur ces principes de la banque et de l’assurance que cette caisse générale d’escompte saint-simonienne doit organiser la circulation de monnaie fiduciaireen émettant ses propres billets.

Notes
872.

Ibid.

873.

Ibid.

874.

Ibid., p. 23.

875.

Ibid., p. 22. Les saint-simoniens se sont toujours beaucoup impliqués dans l’organisation de caisses de prévoyance diverses mettant en pratique le principe de l’assurance. Les caisses cherchent en général à appliquer le principe d’association que les saint-simoniens ont défendu avec tant de conviction. Il n’est pas étonnant qu’on les retrouve à la tête du mouvement qui cherchait à les développer. Pour eux, ces caisses de prévoyance ont la fonction évidente d'assurer une existence meilleure aux travailleurs, mais aussi, elles constituent un dispositif essentiel d'une organisation financière permettant un financement plus large et plus stable des entreprises industrielles. Les travailleurs parvenant à accumuler par eux-mêmes des instruments de travail ne dépendent plus de la fortune versatile des capitalistes. Après février 1848, les saint-simoniens essaieront à nouveau de promouvoir l’idée des caisses d’assurance et des caisses de retraite : la fondation de ces caisses est alors un thème de prédilection de la presse qu’ils dirigent ou qu’ils influencent comme Le Crédit (1er nov. 1848-31août 1850, réd. en chef Ch. Duveyrier) ou La République (26 fév. 1848-2déc. 1851, réd. en chef E. Bareste). Pour connaître les dates de parution des journaux, leur orientation politique ou les conditions de leur parution, on peut consulter Eugène Hatin, Bibliographie historique et critique de la presse périodique française, Georg Olms, 1965, 660 p.). Nous reparlerons dans la conclusion générale de ces revues saint-simonienne fondées pendant la Seconde République (cf. infra p. 363-368). Lorsqu’en 1850 le gouvernement fait voter une loi légalisant la création de Société de secours mutuel (loi au 15 juillet 1850) et organisant la Caisse nationale de retraites pour la vieillesse (loi du 8 juin 1850), on peut estimer que les saint-simoniens ont beaucoup œuvré, avec leur propagande menée depuis 1825, pour l’institution de telles sociétés.