§1 - Baisser le taux d'intérêt correspond à l'orientation naturelle de la politique monétaire.

A - Utilité du crédit public pour soutenir l'activité économique.

a - Monnaie de crédit, circulation des richesses et activité économique.

Le crédit est un facteur essentiel, nous l'avons souvent vu, de l'organisation monétaire des saint-simoniens : il permet de développer la confiance qui suscite la multiplication des relations commerciales et constitue ainsi un soutien très efficace de l'activité. Enfantin parle à ce sujet de "la masse énorme des paiements qui s'opèrent par les titres de crédit, par les billets de banque, par les virements de compte" 945 .

Le crédit se concrétise par des billets de banque qui pour les saint-simoniens équivalent, du fait des modalités de leur création, à une véritable monnaie de crédit : cette "monnaie de papier [déjà abondante] dans certains pays [...] facilite encore plus le passage des capitaux là où ils sont réclamés par la production" 946 ; grâce à la facilité avec laquelle elle est émise et grâce à la vitesse où elle circule, cette monnaie constitue un auxiliaire précieux pour les politiques de soutien de l'activité.

Lorsque les banques accordent des crédits aux travailleurs pendant les périodes de crise, "dans toutes les circonstances où les industriels ne peuvent pas payer" 947 , elles contribuent à accélérer la circulation des richesses : cette circulation, en irriguant le système industriel, peut soutenir l'activité des producteurs et leur éviter faillites et aux dépôts de bilan.

Si le système bancaire fonctionnait efficacement, pensent les saint-simoniens, en suivant leurs propres principes, et si, de ce fait, les industriels touchés par la crise "trouvaient des banques prêtes à les garantir, jamais il n'y aurait de lenteur dans la production" 948 . L'effet de relance serait par conséquent immédiat et la crise commerciale vite surmontée : "à peine achevés dans un atelier, les produits passeraient rapidement dans un autre, jusqu'au moment où complètement confectionnés, ils seraient livrés à la consommation" 949 .

Notes
945.

P. Enfantin, "De la circulation", Le Producteur, t. IV, n° 1, p. 48.

946.

Clément Juglar a calculé, pour la période allant de 1830 à 1837, que, pour l'Angleterre, les Etats-Unis et la France, la circulation des billets de banque oscillait entre les valeurs maxima et minima respectives suivantes (en millions de francs) : 1017 et 987 en Angleterre ; 804 et 329 aux Etats-Unis ; 252 et 192 en France. Ainsi la circulation des billets en Angleterre était-elle alors 4 et 5 fois supérieure et celle des Etats-Unis 2 et 3 fois supérieure à la circulation des billets en France. Par la suite, l'écart se resserre entre les trois pays et, entre 1857 et 1864, la circulation maximum atteint 869 millions de francs dans notre pays pour 987 en Angleterre et 1117 aux Etats-Unis. Peut-on voir, en partie au moins, dans la forte croissance de la circulation monétaire en France après le milieu des années 1830, une conséquence de l'activisme financier des saint-simoniens qui seraient parvenus à convaincre leurs contemporains de la nécessité de constituer en France un système de banque moderne et efficace ? Pour des chiffres plus précis sur la circulation monétaire dans ces trois pays au cours du XIXe siècle, et pour comparer ces trois pays entre eux, on peut lire Clément Juglar, "De la circulation fiduciaire sous le régime de l'unité et de la liberté d'émission en France, en Angleterre et aux Etats-Unis", Extraits du Journal de la société de statistique, mars avril 1866, Berger-Levrault, Strasbourg, 1866, p. 3.

947.

P. Enfantin, "De la circulation", Le Producteur, t. IV, n° 1, p. 52.

948.

Idem.

949.

Ibid. On retrouve dans ce texte d'Enfantin une idée essentielle de Cantillon. Comme le remarque C. Rist, Cantillon, en s'appuyant sur sa Conversation avec Law (citée dans l'ouvrage de Higgs, op. cit., p. 336), avait compris que "la véritable utilité des banques [consistait à] faire circuler plus vite [...] cette partie de la monnaie que des personnes riches 'économes et qui amassent annuellement de l'argent par leurs épargnes' déposeront entre les mains d'une banque" (C. Rist, op. cit., p. 48). Plus tard, les saint-simoniens voudront avant tout créer des banques pour "faire passer les capitaux des mains des oisifs entre celles des travailleurs". Même si la perspective politique et la terminologie employée sont totalement différentes – ils ne parlent plus d'épargnants économes, mais de riches oisifs – on peut estimer que leur conception de la circulation est fondamentalement la même : c'est pourquoi ils accordent une telle importance à la confiance que le système financier doit inspirer aux propriétaires : sans elle, les capitalistes ne prêteraient pas leurs fonds disponibles aux banques et les richesses ne circuleraient pas.