B - Plus le taux d'intérêt est bas, plus la relance est efficace.

a - La politique de relance par la baisse du taux d'intérêt est la plus efficace.

a1 - Agir sur le niveau du taux d'intérêt plutôt que sur la pression fiscale car l'emprunt est préférable à l'impôt.

Lorsque le gouvernement veut relancer l'activité industrielle, il peut d'abord envisager des stratégies budgétaires : augmenter les impôts pour mettre en chantier de grands travaux publics ou baisser au contraire les impôts pour stimuler la consommation et l'investissement dans le cadre de ce que nous appellerions aujourd'hui l'économie de l'offre. Il peut aussi envisager une stratégie monétaire visant à baisser le taux d'intérêt le plus qu'il est possible : cette dernière est privilégiée par les saint-simoniens.

On trouve chez eux, dans les articles de Decourdemanche en particulier, l'idée que la baisse du taux d'intérêt est d'une plus grande efficacité que n'importe quelle mesure fiscale. Decourdemanche estime avoir "démontré que le moindre abaissement dans le taux de l'intérêt favorisait plus la prospérité d'un pays que la diminution notable dans le montant des impôts" 956 .

En outre, "cet abaissement dans le taux de l'intérêt" 957 s'intègre parfaitement pour Decourdemanche à une politique contracyclique de relance car il "donne naissance à de nouveaux établissements" 958 qui mécaniquement, avec l'augmentation du revenu national "produisent une somme d'impôts" 959 plus importante.

En affirmant ainsi la supériorité de l'emprunt sur l'impôt, Decourdemancheprend le contre-pied de Ricardo et de son théorème d'équivalence 960 . Un autre article du Globe s'attarde longuement sur les avantages comparés de l'emprunt et de l'impôt, en insistant sur la supériorité du premier sur le second comme méthode de relance de l'activité : "l'utilité d'une dépense étant une fois reconnue, il n'y plus dès lors à hésiter ; il vaut mieux emprunter que frapper de nouveaux impôts" 961 .

La raison, dans une logique saint-simonienne, en est que la monnaie prélevée au titre des impôts est retiré du circuit financier et qu'elle ne peut plus donner lieu à l'intensité de prêt et d'emprunt qui enrichit à la fois les banques et les particuliers, alors que la monnaie servant à financer l'emprunt continue de circuler : "laissé entre les mains des contribuables, l'argent des impôts fructifiera à 6, 8, 10, 12 et même 15 pour cent" 962 .

Pour les saint-simoniens, le taux d'intérêt est la variable explicative déterminante du fonctionnement du système industriel. Il n'est pas étonnant par conséquent, que pour eux, le recours privilégié à cette variable confère à la politique conjoncturelle une plus grande réactivité que n'importe quelle autre mesure. Le problème est alors de savoir comment parvenir très rapidement au taux le plus faible possible.

Notes
956.

Decourdemanche, "Treizième lettre au rédacteur du Globe", Le Globe, 27 août 1831.

957.

Idem.

958.

Ibid.

959.

Ibid.

960.

Il n'est pas certain qu'il y ait de la part de Decourdemanche une volonté de controverse avec l'auteur classique anglais. Nous avons vu toutefois que les saint-simoniens connaissaient celui-ci et qu'ils tenaient compte de son opinion (cf. supra n. 2, p. 113, les débats de politique économique à la Chambre lorsque Le Globe félicite M. Anisson-Dupéron pour son intervention) : aussi pouvons nous supposer qu'il existe au moins une ébauche de discussion. Rappelons que pour Ricardo, l'effet des dépenses publiques sur la consommation est le même, qu'elles soient financées par l'impôt ou par l'emprunt. Ce théorème d'équivalence ricardien sera remis à l'honneur au début des années 1980 par les économistes du courant des anticipations rationnelles qui en feront un des fondements de leurs préceptes de politique économique : si, d'après ces derniers, le financement est effectué par emprunt, les ménages anticipent de toute façon que des impôts seront prélevés ultérieurement pour payer les intérêts et rembourser la dette.

961.

"Discussions financières de la chambre des députés", Le Globe, 28 janvier 1832.

962.

Idem.