b - La banque doit mener occasionnellement des politiques de rigueur.

L'organisation de la banque, s'il le faut, doit prendre des mesures restrictives pour faire face à des situations atypiques comme les poussées spéculatives dues à un crédit trop abondant. Les saint-simoniens en effet, sont conscients de la menace qu'une distribution trop large de crédit avec un développement excessif de l'escompte fait courir à la stabilité du système productif. Sans doute ont-ils remarqué que des escomptes trop important précédaient parfois de peu le déclenchement d'une crise.

Aussi souhaitent-ils que, pour faire face à un risque de surchauffe, possible annonciateur d'une grave crise commerciale, "le banquier afin d'obliger ses clients à restreindre ses opérations, limite ses escomptes, resserre ses crédits, diminue ses avances" 983 .

C'est aussi dans des situations aussi paradoxales que les banquiers doivent montrer toute l'importance de leur rôle. Lorsqu'ils sont capables de faire preuve d'une grande souplesse dans l'application de leurs principes industriels et de prendre les mesures appropriées à toute situation, "n'exercent-ils pas, se demande Enfantin, une véritable fonction sociale en rétablissant l'équilibre entre la production et la consommation ?" 984 .

Cette fonction sociale des banquiers est très importante, elle leur confère même une dimension gouvernementale puisqu'ils ont en charge la politique conjoncturelle du pays. Ils exercent une fonction de direction au service de l'Etat et ils ont la responsabilité de combler le vide organisationnel dû aux défaillances du marché.

Les saint-simoniens, nous le voyons ici encore, s'inscrivent très clairement du côté des partisans de l'Etat dans la controverse entre Etat et marché. Ils essaient de mener à son terme la cohérence de leur engagement : il ne suffit pas que l'Etat sache diriger une politique de relance, il doit aussi savoir diriger une politique de stabilisation.

Les banquiers, investis d'une mission aussi importante que la direction de la politique économique, doivent assumer toutes les responsabilités dévolues à l'Etat. Or, celles-ci peuvent aller jusqu'à décréter une augmentation du taux d'escompte et du taux d'intérêt si la nécessité se fait sentir de réduire certains déséquilibres spontanés. C'est dans ces circonstances périlleuses pour la stabilité financière d'un pays qu'il est particulièrement opportun, leur semble-t-il, d'avoir recours à la banque et à la rigueur de son organisation. Grâce à la densité du réseau financier que les banquiers ont déjà constitué, il est sans doute possible d'estimer de risque inhérent aux opérations de crédit envisagées.

Notes
983.

Ibid. Bien plus tard, Clément Juglar a discerné de tels mouvements oscillatoires dans le fonctionnement de l'économie des pays développés et il les a mis en évidence : "Le développement de l'escompte, écrit-il, suit une marche régulière, ascensionnelle, pendant un certain nombre d'années, six à sept ordinairement, pour arriver à un degré triple ou quadruple du point de départ et atteint un chiffre énorme au moment où une crise éclate" (C. Juglar, Des crises commerciales et de leur retour périodique en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, Guillemin, p. 402). Il a même remarqué plus précisément que le total des escomptes augmente très sensiblement lors de la dernière année de prospérité pour retomber brutalement pendant les années de crise, qu'il situe, au début du XIXe siècle, pour la France, en 1804, 1810, 1813-1814, 1818, 1825 et 1830 (op. cit., p. 61). Le total annuel des escomptes passe ainsi : de 630 millions de francs en 1804 à 255 en 1805 ; de 715 en 1810 à 390 en 1811 ; de 615 en 1818 à 387 en 1819 ; de 617 en 1830 à 212 en 1831 et 150 en 1832 (op. cit., p. 404-411).

984.

Ibid.