c - La hausse du taux d'intérêt est indispensable dans certaines situations.

c1 - Elle permet de corriger les erreurs des industriels pendant les périodes d'euphorie excessive.

A l'époque des saint-simoniens, la constitution du crédit, de leur propre avis, est dans un état d'inachèvement qui laisse l'industrie sans défense face aux soubresauts de la conjoncture économique : "Qu'il arrive un moment de crise [et] aussitôt il y a un sauve qui peut général" 1006 . La confiance, si indispensable dans l'établissement des relations financières, fait défaut et "chacun cherche à se retirer du mouvement" 1007 .

Les capitalistes, effrayés par la dégradation des perspectives économiques tentent de protéger leurs capitaux en les retirant précipitamment des circuits financiers et, ainsi, "on a même par le retrait des capitaux confiés à la production, un état de malaise épouvantable" 1008 . Ces capitaux alimentent alors la thésaurisation improductive. Les industriels privés d'instrumens de travail ne peuvent plus exercer leur activité et les faillites d'entreprises sont nombreuses.

Ainsi lorsqu'une crise menace d'éclater, il est très important que la banque restaure la confiance en stabilisant les flux financiers. Or, cette stabilisation peut seulement passer, reconnaissent les saint-simoniens, comme nous l'avons vu, par une augmentation du taux d'intérêt. Une telle politique de taux élevé est paradoxale, car elle aggrave le prélèvement rentier sur l'industrie, mais cette aggravation est seulement momentanée et elle est nécessaire pour préserver les conquêtes déjà réalisées par les industriels. Il faut sauvegarder les acquis obtenus par les travailleurs pour continuer la marche en avant, une fois les difficultés surmontées.

Augmenter le taux d'intérêt n'est pas dans la logique financière des saint-simoniens. Mais une hausse ponctuelle de ce taux est un objectif intermédiaire, la stabilisation de l'économie pendant les périodes où l'activité est déréglée, dont la réalisation s'intègre dans une stratégie de long terme qui reste le développement continu de l'industrie avec la baisse concomitante du taux d'intérêt.

En proposant d'augmenter ponctuellement le taux l'intérêt les saint-simoniens tiennent compte du fait que "cette marche ascendante [de l'industrie] n'est pas exempte d'oscillations" 1009 et qu'une pause est parfois nécessaire sur la voie du développement industriel pour neutraliser ces oscillations.

Certaines de ces oscillations résultent d'erreurs commises par les industriels lorsque ces derniers n'assument pas leur condition de producteurs et ne se consacrent plus à leur tâche par la régularité de leur travail. Il est alors très important que ces oscillations soient repérées à temps et que la hausse du taux d'intérêt par les banques agisse comme un coup de semonce qui "ramène heureusement [l'industrie] dans les voies dont la prudence aurait du l'empêcher de s'écarter" 1010 .

Ainsi, après avoir repéré les oscillations économiques, les saint-simoniens imaginent les politiques les plus appropriées pour les neutraliser. Il s'agit de politiques contracycliques à proprement parler, qui ont une dimension très pratique. Nous remarquons, encore une fois que ces économistes ont un sens très aigu de la réalité, loin des rêveries utopiques dont ils sont parfois affublés.

Les oscillations dont nous avons parlé ici se produisent lorsque les industriels perdent de vue les conditions réelles de la production pendant les périodes d'expansion débridée et déséquilibrée : la hausse du taux d'intérêt est alors une mesure de stabilisation qui sanctionne les excès commis et impose le retour à une production plus régulière. Mais la nécessité de taux d'intérêt élevés peut aussi se faire sentir, paradoxalement, lors des périodes de crise qui voient apparaître des oscillations inverses.

Notes
1006.

"France. De l'opposition", Le Globe, 4 janvier 1831.

1007.

Idem.

1008.

Ibid.

1009.

P. Enfantin, "Des banques d'escompte", Le Producteur, t. II, n° 16, p. 122.

1010.

Idem.