3 - Les saint-simoniens tentent de perpétuer une tradition économique française.

On les présente enfin comme des penseurs inspirés qui auraient imaginé de toute pièce un système de pensée entièrement original en se fondant uniquement sur l'enseignement de Saint-Simon. Certes leurs références à Saint-Simon sont nombreuses et passionnées. Mais elles sont surtout utilisées par les disciples lorsqu'ils mènent leur propagande religieuse pour mobiliser les énergies militantes et de gagner de nouveaux fidèles tout en conservant au courant saint-simonien sa pureté idéologique. Elles tiennent lieu alors de signe de ralliement : l'enseignement de leur Maître est essentiel pour les saint-simoniens car c'est lui qui donne du sens à leur action en assurant l'unité religieuse du groupe et la cohérence de son action politique.

Dans le domaine de l'analyse économique à proprement parler, leurs sources d'inspiration et leurs références théoriques vont bien plus loin que l'enseignement de Saint-Simon : au-delà des appels messianiques à la pensée de Saint-Simon, ils se réfèrent de manière très explicite à une tradition économique française et ils affirment leur intention de perpétuer cette tradition en intégrant précisément des apports divers.

Pour critiquer les mercantilistes qui exercent toujours une forte influence sur la politique économique, ils se réfèrent en priorité à l'analyse monétaire qui s'était développée en France au XVIIIe siècle en cherchant à la développer et à la perfectionner. Ils citent comme des modèles Law, Terray, Quesnay, Necker, de Gournay, Turgot, etc. Ces auteurs ont généralement présenté la monnaie comme le principal facteur explicatif de la production des richesses et de leur circulation : tous ont proposé d'utiliser, de manière plus ou moins exclusive, une monnaie active pour trouver une solution aux problèmes macroéconomiques qui affectaient l'économie nationale.

On pense qu'avec la dispersion des apôtres consécutive au départ de Ménilmontant en juin 1832, le groupe saint-simonien a disparu en tant que tel et qu'il n'intervient plus dans le débat économique, les anciens disciples de Saint-Simon n'agissant plus qu'à titre individuel, se remémorant assez vaguement leurs souvenirs de jeunesse, comme ce fut le cas sous le second Empire lorsque quelques-uns parvinrent à tirer parti des opportunités offertes par Napoléon III pour mettre en œuvre certaines de leurs conceptions financières, toujours marquées par les principes saint-simoniens.

Or, bien qu'il se manifeste de manière beaucoup moins exubérante ce groupe saint-simonien existe toujours bel et bien. A l'occasion des événements de 1848, les anciens disciples tentent de renouer des liens assez distendus et c'est en tant que saint-simoniens qu'ils interviennent dans les intéressantes controverses qui ont agité la Seconde République : même si leur action est plus désordonnée et si leur influence est moins prégnante qu'en 1830, leur contribution au débat économique est loin d'être négligeable et elle ne reste pas sans effet.