Les disciples restés en France après 1832 cherchent contre vents et marées à maintenir en vie une tradition saint-simonienne. Pendant que cinquante apôtres vont en Egypte évangéliser l'Orient, d'autres partent en mission en province 1025 . D'autres encore qui ne pouvaient partir, nous dit J. Vinçard, "formèrent un groupe assez considérable d'hommes et de femmes reliés par les principes de la doctrine. Cette agglomération de fidèles prit le nom de famille de Paris" 1026 .
Ces membres de la famille de Paris recevaient les missionnaires d'Egypte lorsqu'ils revenaient en France. Ces retrouvailles "offraient des occasions de réunions, de fêtes pour les recevoir" 1027 . Parallèlement la famille menait une "action de propagande" 1028 intense avec les "processions habituelles qui attirent les curieux" 1029 . J. Vinçard cite l'exemple significatif de Gallé qui "s'imagina de promener le buste de Saint-Simon dans les rues de Paris avec toute la pompe d'un culte religieux" 1030 .
Dans ces conditions, l'effervescence de la révolution de 1848 atteint naturellement le groupe des saint-simoniens dont beaucoup, nous le voyons à la lecture du livre de J. Vinçard, sont toujours prêts à s'enflammer pour la défense de leur cause, et elle ravive leurs souvenirs de quelque vingt ans auparavant.
Comme il avait réuni un premier groupe de disciples après la mort de Saint-Simon, Olinde Rodrigues "homme ardent et plein de cœur [qui] a toujours été sur la brèche [et dont] la vie entière s'est usée à l'œuvre de la propagande" 1031 , écrit J. Vinçard, prend l'initiative de réunir le groupe chez lui, peu après le 24 février 1848, pour le reconstituer et apporter une réponse collective aux défis lancés par les événements à l'école saint-simonienne : son ambition est alors de "produire un grand mouvement politique et religieux embrassant tous les partis socialistes" 1032 .
La "séance" présidée par Ch. Lemonnier et J. Vinçard, qui "représentaient [respectivement] la classe bourgeoise et celle des ouvriers [à l'intérieur du courant saint-simonien] fut des plus orageuses" 1033 . Elle se termina dans une "confusion déplorable" 1034 au milieu des querelles de personnes.
Seul de tous les "notables saint-simoniens", Isaac Péreire a su garder sa dignité d'après le récit de J. Vinçard. Lorsque ce dernier, en effet, a proposé "de faire afficher dans tout Paris une déclaration des principes de la doctrine de Saint-Simon" 1035 , I. Péreire s'est déclaré volontaires pour "la signer de son sang" 1036 . J. Vinçard se montre très ému par cette marque de fidélité aux idées de jeunesse des saint-simoniens et à leur engagement d'alors : "j'ai conservé pieusement le souvenir de généreux élan d'amour du peuple, et je le consigne ici comme témoignage de reconnaissance pour son auteur" 1037 .
Ce jugement porté par Jules Vinçard sur le l'attitude d'Isaac Péreire est intéressante car il constitue, au bénéfice de ce dernier, une présomption de fidélité au saint-simonisme pour l'œuvre financière qu'il accomplira sous le second Empire. "Mais ce fut tout ce qui résulta d'intéressant, pour J. Vinçard, de cette réunion" 1038 . Si la décision de provoquer une réunion manifeste une volonté d'agir de la part des saint-simoniens, l'ambiance dans laquelle elle s'est déroulée est aussi le signe d'une incapacité à surmonter les divisions au sein du groupe. Cette ambivalence se retrouve dans la diffusion d'une presse saint-simonienne pendant cette période 1848-1851, avec des journaux assez nombreux se réclamant du saint-simonisme, mais qui eurent du mal à s'entendre et furent souvent concurrents.
Nous nous référons essentiellement pour traiter ce passage à l'ouvrage de Jules Vinçard, Mémoires épisodiques d'un chansonnier saint-simonien, Dentu, Paris, 1878, 273 p. J. Vinçard, le chef de la famille de Paris, a beaucoup payé de sa personne pour défense de la cause saint-simonienne. Il s'est toujours montré très désintéressé et très enthousiaste, ce qui l'a parfois poussé, peut-être, à un optimisme un peu irréaliste quant à l'efficacité politique véritable de son action.
Ces missions en province se passent très mal en fait. La propagande est largement inefficace et les missionnaires sont en butte aux quolibets de la population ou à son hostilité : on peut lire sur ce point S. Charlety, op. cit., p. 210-211.
J. Vinçard, op. cit., p. 74.
Idem, p. 113.
Ibid.
Ibid., p. 114.
Ibid., p. 116.
Ibid., p. 257.
Ibid.
Ibid., p. 257-258.
Ibid., p. 258.
Ibid., p. 259.
Ibid.
Ibid.
Ibid.