Conclusion générale

À plus d’un titre, ce travail, à l’instar de toute entreprise de recherche, est inachevé. Il esquisse le rassemblement d’une somme de connaissances sur l’habitat rural au Maroc médiéval, confrontée aux données fournies par une étude de cas. Il apporte beaucoup moins de réponses qu’il n’ouvre de perspectives variées et riches. Ainsi, mes conclusions sont loin d’être arrêtées et se profilent plutôt sous la forme de suggestions de nouveaux objets et de nouvelles pistes de recherche. Conçue d’abord comme catalyseur d’un ensemble d’apports divers pour faire de l’habitat et de l’occupation de l’espace un thème représentatif de la dynamique socio-culturelle du Maroc médiéval, cette étude aura, peut-être, atteint son principal objectif : construire un objet et proposer une approche bien outillée pour en saisir la complexité.

L’articulation du global et du local est le centre de la réflexion menée dans ce travail. L’identification de la trame des rapports entre l’organisation sociale et la gestion de l’espace corrobore la nécessité de la multiplication des échelles de lecture. Continuer l’effort de modélisation, par essence totalisant et global, et élargir le champ des monographies régionales à l’ensemble du pays, s’imposent comme deux solutions complémentaires et indissociables. Dans ses différentes formes et niveaux d’organisation, l’espace rural -et le constat vaudrait aussi pour l’urbain- est l’expression par excellence de la force et des implications des solidarités communautaires. La famille, la communauté vicinale, l’entité floue mais omniprésente de la tribu, les associations stratégiques ou conjoncturelles des groupes communautaires sont autant de réseaux qui façonnent différemment la gestion de l’espace, depuis la maison jusqu’aux grands ensembles territoriaux. À chaque phase de mon analyse, j’ai essayé de déceler respectivement l’un ou l’autre de ces aspects, en notant chaque fois, la nature et les cadres du sentiment de participation qui fonde le lien communautaire : La parenté, régie par les règles de la filiation et de l’honneur pour le niveau familial, le lien vicinal et la gestion des espaces résidentiels et agraires qu’il implique ; la régulation des tensions sociales et de l’accès collectif aux moyens de production et leur rôle dans la détermination des stratégies territoriales tribales… L’imbrication des niveaux de gestion ou d’organisation spatiale est ainsi à l’image de la complexité, parfois la confusion, des niveaux d’organisation communautaire. La perception de l’un est irréductiblement liée à l’intelligibilité de l’autre.

La diversité des configurations locales de la manière d’habiter accroît la nécessité d’une telle démarche. La forme du lien communautaire, inhérent à l’organisation des sociétés de l’Occident musulman, varie au gré des spécificités locales, entraînant immanquablement des modes différents de la gestion de l’espace. Avec l’hétérogénéité de son peuplement et de ses écosystèmes, le Maroc se prête parfaitement à un tel exercice. Maintenir le cap d’une recherche des mécanismes d’articulation entre la société et son espace, d’une manière globale, tout en traitant de problématiques locales et ponctuelles, permettrait d’éviter l’émiettement de la connaissance historico-archéologique sur l’habitat. Un développement futur des recherches archéologiques devrait s’opérer dans un tel cadre, assurant un travail en concertation entre historiens et archéologues. L’expérience espagnole a justement montré le risque que pourrait engendrer une prolifération incontrôlée d’études monographiques et typologiques 1 .

L’ambivalence de cette approche nous a permis à ce premier stade, d’identifier quelques problématiques majeures, qui suscitent, aussi bien localement que globalement, plusieurs interrogations. Nous pouvons les résumer dans les points suivants.

Notes
1.

« Ni l’archéologie, ni quelqu’autre technique ou méthode scientifique que ce soit ne peuvent résoudre des problèmes non posés préalablement…Les faits (datos) n’existent pas par eux-mêmes (…) mais sont produits à partir d’un problème ou d’un ensemble de problèmes explicites et au moyen de techniques et de méthodes, explicites également. Cette stratégie améliore l’efficacité de la recherche puisqu’elle établit des critères pour déterminer la convenance des faits produits et leur capacité virtuelle à résoudre les problèmes ou, éventuellement, à obliger à modifier les hypothèses ». M. Barcelo et alii, Arqueología medieval. En las afueras del « medievalismo », Barcelone, 1988, cité dans P. Guichard, « Depuis Valence et en allant vers l’ouest… Bilan et propositions pour une équipe », p. 194.