Espace et discours normatif

Organiquement lié aux structures du quotidien et aux modalités de l’organisation de la société, l’espace peut devenir un objet d’enjeux vitaux et de conflits. La régulation de ces tensions sociales contribue à garantir la reproduction du lien social et fait appel à des dispositifs normatifs variés. Il serait inapproprié de résumer ceux-ci aux seules règles du droit : ce dernier, que présente dans notre cas une abondante littérature juridique mlikite, ne traite qu’accessoirement des espaces ruraux. Donnant une grande marge de liberté à l’expression des traditions et usages locaux, le droit mlikite en la matière consiste en un ensemble de principes directeurs servant à la résolution des cas d’espèce.

Dans le monde rural de l’Occident musulman en général, et dans les zones berbères marocaines en particulier, la coutume tient une part considérable dans les moyens déployés par les communautés rurales pour la gestion de l’espace. La prolifération de listes rédigées de règles coutumières- dont le rôle et la dimension dans la construction des identités socio-culturelles locales ont été évoqués -est indubitablement la manifestation la plus féconde de l’implication des normes dans le façonnage de l’espace rural. Les rares exemples de ces textes cités dans cette étude suffisent à démontrer la nécessité d’entreprendre une enquête systématique sur le sujet, visant, par le biais d’une archéologie de ces corpus composites, confrontée aux réalités du terrain, à déterminer les modalités de la mise en place et de l’application de la règle coutumière.

En tant qu’institutionnalisation communautaire de normes régies initialement par les habitus, la coutume écrite suppose l’existence de formes normatives infra-juridiques, véhiculées oralement et mises en scène rituellement. Il s’agit d’un ensemble de pratiques appelant l’arbitrage, la médiation ou d’autres types de transaction, pour la résolution des conflits. L’étude de ces divers niveaux d’intervention de la norme dans la définition des configurations spatiales, architecturales, agraires ou territoriales, permettrait de mesurer les poids respectifs de chacune des traditions normatives, et d’évaluer le rôle de la communauté rurale en tant que productrice d’un discours normatif.