Espace et sacré

La reconstitution des phases de construction territoriale dans la région de Safi a mis en évidence le rôle primordial du sacré dans ce processus. Les polarités religieuses contribuent à dessiner un espace différencié et hiérarchisé. Les Ragrga et les Ban Mguir avaient été respectivement au centre de cette hiérarchie qui entérinait d’autres formes de polarité, économique ou politique. La force de l’enracinement territorial de la pratique rituelle participe d’un ensemble de dispositifs d’appropriation symbolique de l’espace communautaire 2 .

La nature des rapports au sacré détermine sa relation avec l’espace. Les trois niveaux du sacré, écologique, ésotérique et dogmatique, distingués par J. Berque, se manifestent différemment dans la gestion symbolique et la représentation de l’espace. Un sacré du cru, matérialisé par des éléments naturels ou humains du terroir, en constitue la forme la plus basique. La sainteté comme médiation d’un savoir ésotérique, conduit à une certaine anthropologisation de l’espace, qui canalise les flux du sacré dans des pèlerinages ou des cultes de saints. La vocation universelle de la religion officielle, qui constitue le troisième niveau de sacré, dénonce ces formes de syncrétisme et empêche son ancrage territorial local.

Les nombreuses recherches sur les manifestations populaires du sacré n’ont traité qu’accessoirement de leurs implications dans la construction des territoires urbains et ruraux. La multiplication des études sur ces liens s’impose pour pouvoir déceler les différentes formes de l’organisation spatiale du canevas du sacré. La place dévolue à ce dernier, respectivement chez les sociétés nomades et sédentaires, serait une piste intéressante pour mesurer l’imbrication de la représentation spatiale du sacré et les pratiques socio-économiques.

Ce sacré diffus qui caractérise la société rurale marocaine, notamment chez les Berbères sédentaires, doit être recherché également dans l’espace domestique. Le caractère inviolable de la cellule familiale régi par le système de l’honneur peut être en effet assimilé à une forme de sacré, concrétisée souvent par de nombreuses pratiques rituelles ou prophylactiques.

Notes
2.

Cf. à ce propos l’intéressante introduction d’A. Vauchez (éd.), Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires. Approches terminologiques, historiques et monographiques, Rome, 2000, p. 1-7.