Un espace communautaire

Au-delà de la mise en relief de l’espace comme vecteur de l’histoire de la société rurale au Maroc médiéval, cette étude a permis de définir un sujet transversal qui pourrait représenter une piste prometteuse de recherche. Il s’agit de développer la notion de communauté comme nouveau paradigme susceptible de contribuer à une meilleure connaissance de l’histoire de l’organisation sociale au Maroc.

Le thème de la tribu, qui a longtemps cristallisé l’analyse des formations communautaires, s’avère de plus en plus comme une réalité historique floue, à manier avec beaucoup de méfiance. La conception de la tribu comme une forme sociale structurelle basée uniquement sur le lien de parenté, réel ou fictif, réduit la complexité de la composition sociale à un moule univoque et peu variable. Or, derrière cette manière de dire le lien social -cet emblème onomastique dirait J. Berque- se cache une multitude de configurations, relevant de critères divers. La remise en cause de la prééminence de la parenté dans la définition du lien communautaire permettrait d’expliciter le rôle et le poids de la proximité spatiale, de l’appartenance culturelle ou religieuse, de l’origine ethnique ou bien de la relation professionnelle dans l’émergence et le développement des entités communautaires. Une telle hypothèse de travail trouvera dans l’œuvre de J. Berque d’excellents éclairages. Fidèle à sa perspicacité exemplaire, l’auteur a attiré l’attention, il y a déjà quelques décennies, sur la nécessité de scruter les mécanismes de la naissance des sentiments de participation communautaire, notamment à propos des confréries. Il déclare ainsi que « La recherche devrait explorer cette sociabilité sui generis qui agglomérait les individus nord-africains, sitôt qu’ils échappaient aux formes élémentaires du groupe, dans ces ensembles (confrériques) » 3 . Cette perspective permettrait une relecture de la question de l’organisation tribale dans la société marocaine : le débat sur le sujet s’étant malheureusement figé sur la nature segmentaire ou non de celle-ci.

Ainsi, en me basant notamment sur certains éléments très hétéroclites survolés rapidement dans cette étude (la question de la justice communautaire, les solidarités villageoises et urbaines, la naissance des entités soufies ou encore l’organisation professionnelle des métiers), j’ai essayé de fil en aiguille de présenter la grande diversité des formes de solidarité communautaire dans la société marocaine. À ce propos, il serait envisageable de postuler un fait communautaire total 4 , notion qui présume l’existence de liens de participation communautaire dans les différents ensembles et manifestations du corps social, et qui implique par conséquent, la compréhension du lien communautaire, non pas comme une forme figée et a-historique, mais plutôt en tant qu’un usage indissociable de l’évolution des mécanismes de reproduction sociale.

Ces immenses chantiers, sur lesquels j’espère pouvoir modestement travailler, ne sont pas à la mesure d’une ambition ou d’un potentiel individuels. C’est seulement dans le cadre d’une réflexion collective et d’entreprises collégiales, que les directions engagées dans le cadre de cette thèse pourront être suffisamment explorées. S’il a fallu un moment, mettre un terme au présent travail, la recherche qu’il a initiée voudrait continuer, quant à elle, avec autant de détermination et de volonté d’expérimentation.

Notes
3.

J. Berque, De l’Euphrate à l’Atlas, t. 2 : Histoire et nature, Paris, 1978, p. 478.

4.

Cet intitulé fait, évidemment, allusion à la notion de « fait social total » élaborée par M. Mauss qui appelle à considérer « les faits dans leur relation avec l’ensemble du corps social dont ils font partie » et « les comprendre à partir de leurs usages sociaux », M. Mauss, Sociologie et anthropologie.