INTRODUCTION

Ma thèse de doctorat prend pour objet l’étude des fêtes, des foires et des marchés en milieu rural qui ont été désignés ‘«’ ‘ sites remarquables du goût’ » (S.R.G. 1 ). Les places marchandes, très répandues sur tout le territoire national et apparemment ordinaires et anodines s’inscrivent dans une réalité sociale, une économie et une histoire locales. En faisant le lien avec un contexte général social, économique et politique, nous avons choisi de les appréhender à travers le sens nouveau dont elles sont investies. Nous avons en effet constaté l’émergence de discours qui tendent à les inscrire dans une histoire du lieu et une mémoire collective locale, créant ainsi du ‘«’ ‘ langage commun’ ». En élaborant une dimension patrimoniale des fêtes, des foires et des marchés, ils se trouvent mêlés à des processus de valorisation d’un produit gastronomique d’une part, et d’un lieu, d’autre part. A travers des procès de distinction, d’identification et de désignation, on enregistre différents discours qui relèvent d’une construction patrimoniale des fêtes, des foires et des marchés. En apportant de la valeur symbolique, en légitimant des spécificités, ces démarches permettent de caractériser des productions, d’identifier des lieux et de requalifier des territoires. Aussi sont-ils sollicités pour participer au développement local et touristique.

Nous les désignerons comme ‘«’ ‘ places marchandes’ » mais ce terme ne saurait définir convenablement les fêtes, les foires et les marchés car il les cantonne dans leur rôle économique. En effet, même si les fonctions non-marchandes se trouvent aujourd’hui valorisées, apportant de nouveaux sens et intérêts à ces places marchandes, elles ont toujours existé, sous la forme de circulation des informations, d’apprentissage, de sociabilité.

A plusieurs reprises au cours des trente dernières années, différents auteurs ont souligné la disparition progressive des fêtes, des foires et des marchés. Les pratiques de différents acteurs sociaux semblent confirmer cette tendance. D’une part les producteurs ont découvert de nouveaux circuits de commercialisation, moins contraignants. De l’autre, les consommateurs ont adopté des habitudes d’achat répondant mieux à leur mode de vie. Pourtant ces places marchandes font l’objet d’un regain d’intérêt et l’on enregistre la création de marchés hebdomadaires. Les fêtes à thème –­ annuelles – se développent.

Les fêtes, les foires et les marchés se sont profondément transformés mais ils ont su s’adapter aux nouvelles manières de vivre. Leur rôle économique s’en est trouvé modifié puisque ce ne sont plus des lieux d’écoulement des marchandises, mais des lieux de distribution parmi d’autres. Aujourd’hui, ces places marchandes, qui créent une animation locale, sont décrites à travers leur caractère convivial et festif. Si certaines d’entre elles ont perdu leur rôle économique direct, celui-ci est induit par leur caractère attractif qui est un atout pour les activités de la commune. De plus elles deviennent un support pour valoriser des productions locales. Nous observons que les places marchandes remplissent de nouvelles fonctions et qu’elles conditionnent l’émergence de discours qui tendent à valoriser leur dimension culturelle et patrimoniale. C’est un regard nouveau qui est porté sur eux. Celui-ci ne privilégie pas leur rôle d’échange marchand mais valorise et met en scène des éléments qui deviennent emblématiques ou significatifs.

Les fêtes, les foires et les marchés ne sont pas pris comme une fin en soi mais comme les vecteurs de discours. Nous nous proposons d’étudier ces derniers qui, envisagés en tant que constructions sémantiques et interprétations, sont révélateurs des attentes des individus qui les élaborent. En effet, ces discours se présentent comme des réponses aux questions ou aux besoins de chacun. Loin de n’être que résurgence nostalgique, les places marchandes répondent, au contraire, à des préoccupations contemporaines et passent par là-même comme étant parfaitement adaptées au monde actuel. La thèse vise à comprendre en quoi ces manifestations ont un réel intérêt aujourd’hui, en quoi elles sont bien intégrées dans notre société et comment elles se révèlent en prise à des attentes actuelles. Nous montrons notamment comment les notions de convivialité, d’authenticité, d’information et de communication sont sollicitées pour répondre à des fins économiques, sociales ou ‘«’ ‘ marketing’ » en réinvestissant ou en reformulant un lien au temps et au lieu.

Les fêtes, les foires et les marchés ne sont pas des lieux neutres mais des ‘«’ ‘ mondes à part »’, comme les définit M. de la Pradelle 2 , capables, à travers divers artifices, de transformer la réalité perçue. Ces manifestations sont ainsi susceptibles de transformer un lieu et un espace de pratiques. A partir du sens, des images positives qu’elles recouvrent, elles favorisent le développement de pratiques sociales de mises en valeur. Nous proposons une réflexion sur le sens donné aux places marchandes que nous avons désigné par le terme de patrimonialisation, défini plus loin. Le processus de patrimonialisation des fêtes, des foires et des marchés peut être compris comme une manière particulière de les voir et de les interpréter et comme un moyen de répondre à des attentes collectives. En quoi les places marchandes entrent-elles dans cette démarche ? Qu’est-ce que cela signifie ? Autrement dit, qu’est-ce que cela nous apprend sur des hommes, des groupes ? Qu’est-ce qui est valorisé et à quelles fins ? Cette dernière question sera le fil conducteur de cette étude qui s’attache à la mise en exposition ou en discours des éléments des fêtes, des foires et des marchés. Dans un contexte d’homogénéisation et de standardisation des productions et des goûts, les fêtes, les foires et les marchés sont définis par un ancrage à un lieu et à une identité spécifiques. Ainsi, les places marchandes participent à l’affirmation d’une appartenance au lieu et à une représentation d’une mémoire collective élaborée par les populations locales et touristiques. Depuis quelques années on constate que les fêtes, les foires et les marchés suscitent un intérêt auprès des touristes qui voient là une manière de découvrir un lieu, de s’en imprégner, tout en pouvant s’approvisionner en produits locaux. Ils répondent ainsi à une certaine quête des populations urbaines, en véhiculant des idéologies de bien-vivre et de bien-manger. Ils semblent ainsi devenir des lieux de consommation culturelle tout autant qu’ils renforcent, en l’exposant, une identité locale. Par ailleurs, les producteurs peuvent renforcer leur place dans le processus de production-diffusion et affirmer l’identité collective de leur profession en ouvrant un dialogue avec les consommateurs touristes. Ils permettent aux communes d’être identifiées, opérant ainsi positivement sur le dynamisme local.

La désignation ‘«’ ‘ site remarquable du goût’ », en reconnaissant le lien entre un lieu et un produit, légitime l’emblématisation des fêtes, des foires et des marchés. Le label S.R.G. accélère leur mise en valeur touristique et leur mise en image. Cette démarche ‘«’ ‘ officielle’ » offre un nouvel intérêt à l’étude, puisqu’elle permet de voir comment sont traitées les places marchandes afin de répondre aux exigences touristiques. Nous parlerons de label pour désigner les sites remarquables du goût, mais il n’est pas à confondre avec une appellation qui vise à protéger une production et à en conserver les particularités. Nous le considèrerons comme un label touristique dans la mesure où, accordé à une centaine de sites, il garantit une qualité d’accueil équivalente. Le label peut se définir comme étant une marque collective. ‘«’ ‘ Les marques collectives sont principalement créées à l’initiative des pouvoirs publics, sur le plan national ou régional, des groupements professionnels, des entreprises’. » 3 Il s’agit d’un processus d’identification visant à informer le consommateur sur un produit et à réaliser une communication commune. Par ailleurs, il procède par sélection, distinction, désignation et identification qui le fait entrer dans un schéma de sacralisation touristique. Mon objectif n’est pas de réaliser une étude sur les sites remarquables du goût mais d’étudier des marchés dont le point commun est d’appartenir à cette association. Il s’agit d’une étude sur les foires, fêtes et marchés, leur modification dans le temps, l’évolution de leur fonction, le rôle qu’on leur attribue et ce que cela révèle.

Les usages qu’on leur attribue actuellement et leur labellisation s’appuient sur un discours patrimonial porté sur les fêtes, les foires et les marchés qui vise à les transformer en atout majeur du développement local et du développement touristique. Un regard nouveau est porté sur les places marchandes qui exalte des notions valorisantes en lien avec une identité locale et avec un passé idéalisé. On observera ainsi comment les éléments, les caractéristiques propres aux fêtes, aux foires et aux marchés permettent des interprétations qui, en combinant les notions de ‘«’ ‘ local’ », de ‘«’ ‘ savoir-faire’ », d’‘»’ ‘ identité’ », d’ ‘»’ ‘ histoire locale’ », de ‘«’ ‘ bien-vivre’ », de ‘«’ ‘ bien-manger’ », permettent de valoriser des produits et des lieux. Dans tous les cas, il s’agira de voir comment les places marchandes sont amenées, à travers des manipulations essentiellement discursives, à répondre à des enjeux contemporains.

La première partie, essentiellement descriptive, est destinée à définir et à présenter les manifestations étudiées. Une approche historique montrera que les fêtes, les foires et les marchés considérés comme étant une des premières formes de commerce ont beaucoup évolué. Ils ont su se modifier et s’adapter. Leur transformation reflète l’évolution sociale, économique et politique de la société dans laquelle ils sont inscrits et les nouvelles fonctions qui leur sont attribuées répondent à des attentes contemporaines. A partir du constat de l’existence d’un lien étroit entre eux et un lieu, une ville, son histoire et ses productions, nous montrerons, dans les parties suivantes, comment ils sont mis en valeur pour répondre à des enjeux de communication et de développement local et touristique.

Après avoir présenté les marchés ‘«’ ‘ tels qu’ils sont’ », nous présenterons les marchés ‘«’ ‘ tels qu’ils sont vécus »’. Nous nous intéresserons ici à la façon dont les commerçants non-sédentaires – et surtout les producteurs ou les éleveurs – et les visiteurs perçoivent leur relation aux foires et aux marchés. Il s’agit en effet de comprendre, par leur propre interprétation de leur présence, quel intérêt ils trouvent à ces manifestations. Se constitue un échange producteur/consommateur qui, dépassant un rapport purement économique, élabore un échange entre monde rural et monde urbain dont la place marchande se fait le médiateur et où le produit, bien de consommation, retrouve un lien au terroir et aux savoir-faire des hommes.

Enfin nous proposerons une analyse des fêtes, des foires et des marchés dans des projets de mise en valeur et de développement, essentiellement de type touristique. En effet le rôle des fêtes, des foires et des marchés dépasse les limites de leur tenue physique pour concerner l’ensemble d’une vie locale et l’identifier en termes de destination touristique. Cette approche sera appréhendée dans le cadre des S.R.G., distinction qui a valeur nationale. Bien qu’observant surtout les retombées locales de ce label touristique, nous analyserons les relations entre le local et le global, le singulier et le général. Cela exprime d’une part quelle influence le global a sur le local et, d’autre part, ce qu’apporte le local au global.

Notes
1.

Cette abréviation est utilisée tout au long de ce travail pour des raisons pratiques, mais en dehors d’ici, elle n’apparaît jamais sous cette forme.

2.

M. de la Pradelle : Les vendredis de Carpentras, Faire son marché en Provence ou ailleurs, 1996.

3.

L.Orenga : « A quoi servent les marques collectives », in THIARD M. (dir), Marques et labels touristiques, 1998, p.102.