1.1. Patrimonialiser : pour quoi faire ?

Patrimonialiser des objets, c’est leur donner une nouvelle signification et une nouvelle fonction, par une ‘«’ ‘ opération de symbolisation’ », d’après les termes de M.Rautenberg. La patrimonialisation est une ‘«’ ‘ "mise en récit" du passé, une "mise en exposition", comme le souligne J.Davallon, qui va se substituer (ou se surajouter ?) aux processus antérieurs de construction d’une tradition ou de mémoire collective’ » 4 . Cette démarche consiste à donner du sens, de la valeur à l’objet, susceptible de produire du langage commun. Si l’on considère que le processus de patrimonialisation émane d’une construction sociale, supposant par là même interprétations, exclusions et inclusions et procédant par ‘«’ ‘ distinction’ », ‘«’ ‘ désignation’ », ‘«’ ‘ identification’ », ‘«’ ‘ classification’ » et ‘«’ ‘ appropriation’ » 5 , nous pouvons lui attribuer deux caractéristiques essentielles. Tout d’abord, il dépend d’un contexte social et du groupe qui le porte. Il évolue donc en fonction des époques, des groupes et des enjeux auxquels il sert de support. En effet, l’objet prend son sens à travers l’interprétation qu’en donne un groupe à un moment donné. G. Lenclud 6 présente la tradition, non comme une survivance d’un passé dans un présent, mais comme une interprétation de ce passé par un présent. Nous pouvons alors supposer que ce dernier exprime ses préoccupations, ses intérêts du moment à travers le sens qu’il donne. Nous en déduisons une seconde caractéristique qui part du principe qu’il ne peut y avoir d’interprétation que pour répondre à un objectif : valoriser des productions, requalifier un espace, par exemple. D’après D. Cerclet, les processus de patrimonialisation ‘«’ ‘ interviennent à la suite d’un événement perçu comme à l’origine d’une rupture dans le temps local (…).’ » 7 . C’est pourquoi il est plus pertinent et plus intéressant d’observer le processus de patrimonialisation (les discours, les enjeux qui le sous-tendent) que l’objet déjà patrimonialisé.

Les discours patrimoniaux qui prennent pour support les fêtes, les foires et les marchés ne se font pas de manière spontanée et désintéressée. A l’inverse, nous pouvons dire que les différentes représentations qui coexistent, répondent aux attentes de chacun. Les places marchandes sont instrumentalisées à travers des discours, c’est-à-dire par des regards particuliers portés sur eux, afin de répondre à des objectifs.

Les fêtes, les foires et les marchés n’ont jamais été considérés comme étant des phénomènes purement marchands. Depuis leur origine, ils ont rempli des fonctions non marchandes telles que la reproduction sociale, l’apprentissage de valeurs, la circulation d’information, la sociabilité. Ils traduisent aussi un lien au lieu et à la société locale ou globale. Pourtant, ces caractéristiques, si elles perdurent, prennent le pas sur les fonctions marchandes. On remarque plus précisément que l’usage des fêtes, des foires et des marchés s’est modifié ainsi que celui des fonctions non-marchandes. En effet, on observe qu’ils ne sont plus simplement inscrits dans une société à qui ils permettent de se renouveler (par l’approvisionnement, par les échanges sociaux et par la reproduction sociale) mais qu’elles s’adressent à des groupes extérieurs qui ne possèdent pas les valeurs et les pratiques du lieu. Entendons par là que les fonctions non-marchandes ne sont pas seulement destinées à recréer un lien, elles deviennent porteuses de valeurs recherchées pour répondre à des objectifs ou à des attentes sociales (par exemple : retrouver un lien au lieu, critiquer la modernité, les villes, valoriser les ressources locales).

Les critères définissant les fêtes, les foires et les marchés sont instrumentalisés à travers leurs deux particularités essentielles : leur capacité de rassemblement et leur capacité à transformer l’espace. C’est à partir de l’interprétation de ces deux particularités, du sens qu’on leur donne et de l’usage que l’on veut en faire que les fonctions de ces places marchandes vont évoluer et que ces dernières trouveront une nouvelle place dans la société. En ajoutant un discours patrimonial à leur capacité de rassemblement et de transformation de l’espace, les manifestations deviennent un bien culturel, un langage commun approprié pour tous.

Ces deux particularités sont susceptibles de créer du discours patrimonial dans la mesure où elles établissent un rapport au temps et au lieu et à une identité imaginée.

Notes
4.

M. Rautenberg, communication IGE, mai 2002, p.6.

5.

Ibid., p.7.

6.

G.Lenclud : « La tradition n’est plus ce qu’elle était, sur les notions de tradition et de société traditionnelle en ethnologie », Terrain, n° 9, octobre 1987, pp.110-123.

7.

D.Cerclet : « sentiment de rupture et continuité dans le récit patrimonial », in F.Laplantine, J.Lévy, J.-B. Martin, A.Nouss, Récit et connaissance, p.93.