2.1. Lutter contre la « malbouffe »

Depuis quelques années une certaine idée de la ‘«’ ‘ malbouffe’ » est stigmatisée comme conséquence de la mondialisation. La lutte contre la ‘«’ ‘ malbouffe’ » trouve son porte-parole en José Bové. Celui-ci représente le noyau dur et combatif qui lutte pour la protection d’une diversité agro-alimentaire, qui refuse de se voir imposer des normes et une homogénéisation des productions au nom d’une uniformisation, voire d’un impérialisme nord-américain. Les grands symboles se voient pris d’assaut. Un ‘«’ ‘ Mac Do’ » est détruit pour ce qu’il incarne de ‘«’ ‘ malbouffe’ » et d’universalisation américaine. L’Europe refuse d’importer des viandes aux hormones venant des Etats-Unis. En représailles, ceux-ci viennent de sanctionner l’importation de produits qui se trouvent sur le marché américain, parmi lesquels le Roquefort. Derrière les valeurs et les idéologies symboliques s’affrontent d’énormes enjeux économiques et politiques, dans la démarche d’expansion de l’américanisme. Dans cette lutte contre la mondialisation et l’uniformisation, les productions agro-alimentaires occupent une place de choix. S’attachant à un mode de production particulier (dit ‘«’ ‘ traditionnel’ » ou ‘«’ ‘ raisonné’ », où la gestion du vivant, en particulier des bactéries, est délicat vis à vis des nouvelles normes), elles permettent de défendre la diversité culturelle. La lutte entre cheddar et roquefort commence.

De manière plus pacifique, on enregistre chez les consommateurs la critique d’une malbouffe, la recherche d’un ‘«’ ‘ bien-vivre’ », et d’un ‘«’ ‘ bien-manger’ », à l’écoute de son corps et dans le respect de l’environnement. On observe ainsi dans les pratiques de consommation, une sensibilité marquée pour les produits naturels, biologiques ou dits ‘«’ ‘ sains’ » avec l’apparition d’‘»’ ‘ alicaments’ » ‘(’ ‘«’ ‘ riches en fer’ », ‘«’ ‘ aux vitamines A et C’ »…). La consommation de ces produits traduit la remise en question d’une façon de manger, et même de vivre – par un choix alimentaire, c’est parfois une manière d’être que l’on veut modifier. Pourtant, ce comportement ‘«’ ‘ à la mode’ » n’est pas toujours exprimé de manière rationnelle puisqu’il est souvent porté par des constructions marketing.

Dans le même temps, on incrimine les nouveaux produits comme manquant de goût ou comme étant trop artificiels (parfums, arômes artificiels, agents conservateurs E127…). Au mieux, ils sont aseptisés et homogènes. Au pire, ils sont dangereux. Faisant suite à une crainte grandissante face aux produits industriels, la crise alimentaire atteint son apogée avec la maladie de la vache folle et l’arrivée des O.G.M. dans l’alimentation. Les O.G.M., produits hybrides évoquant un univers jusque là issu de la science fiction, sont les premiers à essuyer un tel rejet du schéma alimentaire alors qu’ils sont les bienvenus pour traiter les maladies génétiques chez l’homme. De même, imaginer les bêtes, les vaches que l’on voit paître dans les champs, manger des farines animales sort des modes de représentation pour entrer dans l’ordre de l’impensable, de ce que l’homme ne peut penser raisonnablement. La transformation d’un herbivore en carnivore est en soi une provocation à l’ordre divin – ou naturel – qui ne peut répondre que par un châtiment : l’encéphalite spongiforme bovine (E.S.B.), la maladie de Creutzfeld-Jacob. L’imaginaire qui entoure ces produits – sans parler de la vache folle qui constitue un véritable drame – est celui d’un univers futuriste avec des connotations de technologie omniprésente, voire de robotisation de l’être humain, avec le risque que la technique prenne le dessus sur l’humanité. Sans aller jusque là, la crainte exprimée face aux O.G.M. est celle d’être transformé soi-même par ces organismes.

Les consommateurs, déjà méfiants, ont parfois adopté des comportements relevant de la psychose. Beaucoup sont d’ailleurs devenus végétariens ou des férus de ‘«’ ‘ bio’ ». Face à des comportements insensés et démesurés, d’autres consommateurs ont adopté une approche vigilante et critique – c’est-à-dire faisant la part des choses – sur ce qu’on leur propose. Ainsi, par exemple, les petits bouchers ont vu arriver une nouvelle clientèle, attentive à sa nourriture et cherchant l’information auprès d’une personne à qui elle accorde sa confiance. Symbole d’un mode de vie de la surmodernité et temple des produits cellophanés au goût plastique, la grande distribution est sur la ligne de mire des défenseurs du ‘«’ ‘ bien-manger’ ».