3.2.2.2. Les déplacements sur les sites

Afin de saisir la perception du lieu, de confronter les discours à la réalité, voire de confronter les discours entre eux, le déplacement sur les 9 sites s’est imposé. De plus, la recherche ethnologique s’appuie, pour une large partie, sur l’observation et l’enquête de terrain ainsi que sur l’imprégnation de ‘«’ ‘ l’esprit du lieu’ ». Les deux premières années surtout consistèrent en la rencontre des sites, et de leurs représentants, des acteurs locaux et des populations. Cette démarche visant à découvrir la foire ou le marché et l’histoire du lieu, c’est-à-dire la place qu’occupait la manifestation dans le contexte social, économique et historique local. Je cherchais ainsi tout à la fois à connaître la place marchande (son histoire, son règlement, son déroulement…), le lieu (la ville) et le produit alimentaire choisi (sa production, son rapport au lieu et sa place dans l’économie locale). Je portais une attention toute particulière aux actions ou aux discours tenus sur la manifestation par les élus locaux, les groupements de producteurs et les organismes de tourisme afin de saisir la place qu’on leur accordait actuellement voire le rôle qu’on lui faisait jouer. Il s’agissait aussi de voir l’intérêt porté au label S.R.G. et comment il pouvait se comprendre dans le contexte local.

La rencontre avec les sites

De par l’étendue du terrain et la diversité des sites et des interlocuteurs, le temps passé sur chaque site – sans parler de Louhans où je me suis rendue régulièrement pendant un an – s’est limité à quelques jours. Pour les sites proches comme les Quatre Glorieuses, les déplacements se sont faits sur une journée (un jour sur chacune d’entre elles). Je suis également allée deux années de suite au Comice agricole de Saulieu et je suis allée deux fois à Billom (pour la fête de l’ail en août 1999 et pour le salon S.R.G. en décembre 1999, qui réunissait une vingtaine d’autres S.R.G.). Ces deux sites ont particulièrement attiré mon attention, d’une part parce qu’ils ont été désignés ‘«’ ‘ site-permanent’ », par le C.N.A.C. en 1998 et d’autre part parce qu’on y observe une grande dynamique de communication grand public. Je me suis rendue à Saint-Christophe-en-Brionnais au marché du jeudi et j’y suis retournée en août 2000 pour assister à la soirée pot-au-feu où m’avaient accompagnée des amis amateurs gastronomiques. De même je me suis rendue une première fois à Sarlat et y suis retournée dans le cadre de vacances.

Le retour de l’ethnologue ou du touriste

A Sarlat et à Saint-Christophe-en-Brionnais, un second passage a été effectué sur un mode plus touristique puisque la rencontre a été placée dans un autre contexte et inscrite parmi d’autres visites-découvertes de la région. Je n’y effectuais pas moins nombre d’interviews et d’observations. Il ne m’est pas paru incongru de me déplacer en tant que touriste pour découvrir le site-marché. Je me plaçais dans la même situation que les visiteurs qui m’entouraient, et peut-être pouvais-je mieux les comprendre. De plus, il m’arrivait fréquemment, sur l’ensemble des sites, de me mettre en situation de ‘«’ ‘ touriste’ » auprès des producteurs ou de personnes ‘«’ ‘ du cru’ » qui se trouvaient à mes côtés dans la foule. Je me suis ainsi aperçu que, la plupart du temps, on se faisait un plaisir de répondre à ma curiosité. Néanmoins, les questions ne peuvent être trop nombreuses ou trop précises à moins d’apporter une justification et d’annoncer ‘«’ ‘ je vous demande cela parce que ça m’intéresse ; je fais une étude sur la foire… »’. De plus, que j’aille seule ou accompagnée sur un site, je me rendais à l’Office de tourisme prendre quelques dépliants et me faire expliquer ce qui était ‘«’ ‘ à voir »’ dans les environs. Si cela m’aida à faire un choix pour occuper mon temps libre, cela me permit aussi d’observer ce qui était mis en valeur. Documents en main, je parcourais les environs comme n’importe quel touriste, à la découverte d’un village médiéval, d’une visite commentée sur une exploitation, de dégustations expliquées, ou de musées. ‘«’ ‘ Le touriste et l’anthropologue, et plus encore le voyageur et l’ethnographe (dans le sens couramment admis de ces deux termes), ne sont-ils pas simplement deux branches plus ou moins distinctes du même arbre ? ’ 35 » s’interroge F. Michel. Anthropologues et touristes ont de nombreux points communs : tous deux voyagent, dans les mêmes lieux, et découvrent ensemble un pays ou un terrain. Pourtant le touriste est perçu comme le pendant négatif, tandis que l’anthropologue serait le pendant le plus ‘«’ ‘ noble’ ». Pourtant celui-ci peut parfois être en situation de touriste et le touriste, s’il est un peu érudit, peut être considéré comme compétent 36 . Néanmoins, ce qui distingue les deux est leur rapport au lieu, au ‘«’ ‘ terrain’ ». L’anthropologue travaille là où le touriste est en vacances. L’un privilégie le côté sérieux, l’autre le ludique. Ce qui me paraît surtout essentiel est le regard porté sur le terrain. Le touriste peut se contenter de ‘«’ ‘ sight’ » ‘(’ ‘«’ ‘ une-chose-devant-être-vu’ », selon l’expression de Mac Cannel, reprise par M. Laplante), d’images toutes faites pour avoir l’impression de connaître le pays. L’anthropologue, l’ethnologue, parce qu’il a voulu adopter une démarche scientifique, a construit des outils d’analyse, et a instrumentalisé l’objet d’étude par des méthodes propres. Il a observé le terrain à travers une problématique et par des méthodes appropriées. Ainsi, même en touriste, je ne perdais jamais de l’esprit ma problématique et mes observations. Mes visites-loisirs (à la ferme…) étaient influencées et orientées par les questionnements que soulevait ma recherche. C’est toutefois avec un réel plaisir que j’ai participé à la soirée pot-au-feu de Saint-Christophe-en-Brionnais ou que j’ai fait ‘«’ ‘ mon’ » marché à Sarlat. Je remarquai d’ailleurs que l’approche de ces manifestations par mes propres sensations fut riche d’informations sur les dimensions ludiques que chacun en attendait.

Néanmoins, touriste et scientifique sont-ils perçus différemment par l’observé ? F.Michel fait remarquer :

‘« N’oublions pas que les anthropologues étudient le voyeurisme des touristes, mais que très peu d’entre eux – pour ne pas dire aucun – n’entreprennent (ou n’osent entreprendre) l’analyse de leur propre voyeurisme des touristes observant les autochtones. 37  »’

Comment étaient perçue la touriste ou l’étudiante-chercheur que j’étais ? Il faut remarquer qu’aucune rencontre n’a été enregistrée ou a été vraiment approfondie lorsque j’étais ‘«’ ‘ touriste’ ». Cela a d’ailleurs été assez rare et, le plus souvent, cela se produisait dans des lieux ‘«’ ‘ annexes’ » à la recherche (Office de tourisme, visite d’exploitation ou même sur la foire, mais seulement devant un stand ou une représentation ‘«’ ‘ folklorique’ »). La plupart du temps je présentais mon intérêt pour la manifestation et demandais l’autorisation pour enregistrer.

Les matériaux de l’enquête

Sur chaque site il s’agissait de saisir la globalité du lieu et la spécificité de la place marchande. Une sorte d’état des lieux a été réalisée afin de cerner l’histoire et la géo-économie du lieu, les associations et groupements agricoles et touristiques locaux ainsi que les projets concernant l’aménagement du site et sa valorisation touristique. Le travail d’observation, d’enregistrement de données et de discours conduira à la réalisation de deux exercices différents. D’une part le relevé de faits et de pratiques apportées par l’observation et par les documents écrits et les entretiens permettront d’établir une description détaillée de la manifestation comprise dans un contexte local. D’autre part l’enregistrement des discours des acteurs locaux et des populations sur l’interprétation de leurs pratiques permettra l’analyse élaborée à partir de la problématique qui vise à cerner le sens et les enjeux de leurs actes.

Deux types de données ont été nécessaires : les documents écrits et les échanges oraux. Par documents écrits il faut comprendre les dépliants touristiques ou ceux d’organismes professionnels, les articles de la presse locale, les dossiers de presse, les dossiers de procédure de labellisation A.O.C., les études universitaires (les trois derniers étant transmis par les personnes rencontrées), les règlements du marché, ainsi que la consultation d’ouvrages locaux (bulletin municipal ou livre écrit par un érudit local, trouvés généralement à la bibliothèque de la municipalité concernée).

Les échanges oraux, quant à eux, ont été très diversifiés, par le caractère des acteurs rencontrés et par la diversité des lieux. Néanmoins, on peut distinguer deux types d’échanges : les entretiens et les rencontres informelles qui ont eu lieu au moment de la manifestation.

Notes
35.

F.Michel : » Des manières d’être et de faire du touriste et de l’anthropologue. Une rencontre impossible et/ou impensable ? » in F.Michel (dir), Tourismes, touristes et sociétés, 1998, p.35.

36.

Ibid., p.40.

37.

Ibid, p.38.