Présentation de soi et perception du chercheur

Afin de mieux saisir la façon dont le label S.RG. était évoqué, comment et à quel propos on le mettait en avant, j’ai pris le parti de laisser l’interlocuteur en parler le premier, ce qui demandait parfois un certain temps, voire même voyant qu’il n’était pas évoqué du tout j’avançais prudemment : ‘»’ ‘ J’ai vu que vous aviez le label  "site remarquable du goût"…’ » Laissant la personne enchaîner sans trop l’influencer. J’ai dû employer cette méthode à Romans auprès du restaurateur à l’initiative de la fête qui parlait à ce moment de communication, mais il ne s’est guère étendu sur le sujet. D’autres au contraire en parlent spontanément en particulier à Saulieu où le label est présenté comme étant l’étape supérieure de promotion de leur événement. Toutefois, je n’avais d’autre possibilité que de parler de ce label, lorsque j’avais affaire à un responsable de la communication ou tout simplement à la personne chargée du dossier S.R.G. et qui n’avait rien à voir avec les producteurs et les organisateurs de la manifestation, ou bien encore lorsque la personne avait reçu mon questionnaire écrit.

Je disais donc m’intéresser à la ‘«’ ‘ fête de…’ », à la ‘«’ ‘ foire…’ » sans plus de précisions. Néanmoins, lorsque la discussion arrivait sur les S.R.G., je ne cachais ni mon intérêt pour ce label, ni le fait que je rencontrais d’autres sites.

Aux chalands que je rencontrais sur le lieu de la manifestation, je terminais par cette question : ‘«’ ‘ Connaissez-vous le label S.R.G. ?’ », à laquelle on me répondit toujours par la négative.

Ce qui a peut-être été le plus dur à gérer est la façon dont j’ai été perçue sur le terrain par les responsables ou les élus locaux. Dans un premier temps, je me présentais ainsi ‘«’ ‘ Je fais une étude sur le marché/la foire de… »,’ affirmation que j’ai appris à préciser devant la méfiance que je percevais parfois ou qui était ainsi exprimée : ‘«’ ‘ Vous travaillez pour qui ? ».’ Le plus souvent, j’étais classée comme journaliste ou comme représentante du C.N.A.C. venue pour ‘«’ ‘ espionner’ ».

La perception du chercheur

J’avais d’abord commencé mes enquêtes en m’intéressant aux projets touristiques, à la communication du marché… Non seulement j’orientais les interlocuteurs sur certains thèmes comme le développement touristique, mais en plus, ils croyaient que je réalisais une étude marketing ou que je vérifiais s’ils appliquaient bien la ligne directrice impulsée par le C.N.A.C..

Le plus souvent, on me prenait pour une intruse. Les personnes contrôlaient leurs paroles, de peur que celles-ci paraissent dans les journaux, ou alors on me servait des discours neutres et maintes fois répétés. Ainsi à Espelette où ma méthode de questionnaire n’a pas plu (parce que trop long) à mon interlocuteur, je m’entendis répondre : ‘«’ ‘ Laissez tomber votre questionnaire, je vais faire un monologue, ce sera mieux… J’ai l’habitude, je viens d’être interrogé par Marie-Laure Augry et Pierre Bonte »’. Sur le salon S.R.G., je fus vite remarquée, sans d’abord m’en rendre compte, par les représentants des sites qui n’arrêtaient pas de me voir passer et poser des questions à tout le monde. Quand je les questionnais à leur tour, ils répondaient aimablement et m’offrirent qui une boîte de bonbons, qui un morceau de fromage, qui une bouteille de vin… Je pense que certains furent déçus en apprenant que je ne travaillais pas pour un journal mais pour réaliser une thèse d’Université. Pourtant, dès le début de l’entretien, je présentais la destination de mes requêtes. Certains au contraire s’en montraient flattés.

La rencontre avec les visiteurs est particulière. Généralement assez brève, l’approche est assez délicate, car il faut ‘«’ ‘ haranguer le client’ ». Si l’ambiance se prête bien à l’échange convivial, il n’en va pas toujours de même pour les interviews. Bien malgré moi, j’ai provoqué des réactions très diverses qui me signifiaient mon intrusion. Certains ne me répondaient même pas. Et, à Louhans, un groupe de personnes âgées se mit volontairement à parler patois. En effet, beaucoup s’éloignaient (croyant sans doute que j’allais leur vendre quelque chose), d’autres ne souhaitaient pas répondre. Ce sont surtout les plus âgés qui partaient le plus vite ou en rétorquant sans moyen de retour ‘«’ ‘ moi, je sais rien, je peux rien vous apporter’ ». De plus, il n’est pas évident d’arrêter une personne voire un groupe entier qui déambule en famille (la personne étant prise dans une conservation, surveillant un enfant du coin de l’œil ou essayant de rester avec son groupe). Par mon intervention ou mon intrusion, les personnes se sentent agressées ou dérangées dans leur intimité.

Ma première approche fut de préciser que je n’avais rien à vendre et qu’ils ne s’engageaient en rien, que je voulais juste leur poser quelques questions car je réalisais une étude universitaire. En réponse à certains, je précisais qu’il n’y aurait que moi qui écouterait la bande, puisque je leur demandais l’autorisation de les enregistrer. Beaucoup me répondaient qu’ils n’avaient rien d’intéressant à me raconter et ce, d’autant plus qu’il s’agissait de touristes ou, de manière générale, que c’était la première fois qu’ils venaient.

La rencontre avec le terrain, surtout lorsqu’il s’agit de cerner des enjeux et de poser des questions qui ont semblé délicates aux interviewés, demande que ceux-ci sachent à qui ils ont affaire pour accorder leur confiance. Il faut savoir laisser du temps pour trouver une reconnaissance, ce qui n’a pas toujours été facile à réaliser, compte tenu de l’étendue du terrain. L’exemple est particulièrement flagrant à Saulieu où, bien que m’étant présentée et ayant présenté mon étude, le président marqua une certaine résistance à aborder certains sujets. Il me demanda même à plusieurs reprises d’éteindre le dictaphone ou d’interrompre la conversation, surtout lorsque j’abordais les S.R.G. Au bout du deuxième jour, il me demanda de le laisser m’interroger. ‘«’ ‘ Que faites-vous réellement’  ? » Je lui expliquai très précisément mon étude. Il me demanda ce que j’avais pensé, observé, relevé… sur la fête qu’il organisait. Jeu auquel je me livrais volontiers. Visiblement satisfait de mes réponses, il changea radicalement d’attitude et se confia de façon presque complice ! L’année suivante, me reconnaissant et avouant ouvertement sa satisfaction passée, il prit la peine de m’accorder un entretien qui se déroula au mieux.

Ainsi à plusieurs reprises j’appris qu’effectivement il faut se laisser accepter pour connaître le terrain, connaître les réseaux, les conflits… dépasser les apparences. Le plus souvent j’ai été bien acceptée, voire même intégrée, lorsque l’on me voyait durant quelque temps et que j’étais recommandée par une personne. Lorsque j’expliquais plus précisément mon étude et qu’on en saisissait l’intérêt, on m’aidait alors, on me recommandait telle personne, on me la présentait, on me donnait même des documents… Parfois on m’apportait des conseils, et on me disait ce qu’il fallait que je dise ou non.

L’influence du chercheur sur son terrain

Il est évident que le chercheur modifie le terrain de par son regard problématisé et ses questions. Le choix de son étude vise à saisir plus particulièrement un aspect de la réalité qui peut être déformé de par l’intérêt qu’on lui porte. Ainsi, par exemple, après avoir changé mon approche du terrain, je me suis rendu compte que le label S.R.G. n’avait vraiment pas beaucoup d’importance pour les sites. De plus, comme il a été observé plus haut, le chercheur est un acteur à part entière dans l’échange. Il n’est pas neutre, même s’il veut l’être. Il modifie le comportement de son interlocuteur qui se sent observé, ou qui parfois cherche à savoir ce qu’on attend de lui. A Billom, j’ai servi de messager entre deux organisateurs, : ‘«’ ‘ tu diras à X que… ’», chacun me faisant la critique de l’autre…

Si j’étais annoncée auprès des organisateurs, ma présence en intriguait plus d’un sur les manifestations. J’étais vite repérée. Ce fut le cas sur le marché de Saint-Christophe et à Saulieu qui sont tous deux des milieux très masculins. De plus, j’étais en tenue de ville alors que tous avaient bottes, blouses et bâton de maquignon. Dans ces deux lieux, on me remarquait très rapidement, on s’interrogeait… et comme j’en avais déjà fait l’expérience à Louhans parmi les habitués, m’approchant à peine d’une personne on me disait ‘«’ ‘ alors c’est vous l’étudiante de Lyon. Vous vous intéressez au concours ?… ’». Ils m’avaient remarquée précédemment ou j’avais déjà rencontré une de leurs connaissances qui leur avait dit qui j’étais. J’étais en quelque sorte intégrée parmi eux. Je remarquai d’ailleurs que certains cherchaient à se faire interroger, en s’approchant. Plus on m’apprivoisait, plus on voulait me faire découvrir des choses. Dans leur gentillesse, les personnes voulaient à tout prix me montrer quelque chose, on me racontait des histoires, des anecdotes… Cela devint un inconvénient car certains jeunes hommes, employés agricoles, à Saulieu en particulier, avaient d’autres intentions lorsqu’ils voyaient que je m’intéressais à eux. Néanmoins, dans leur zèle, j’apprenais sur leur métier…

La recherche ethnologique s’inscrit dans un aller-retour entre le terrain, les données enregistrées et les éléments théoriques dans lesquelles elles s’insèrent. L’ethnologie se définit comme manière particulière d’appréhender l’homme et les sociétés humaines. Elle met en place des outils opératoires pour saisir une réalité. Néanmoins, le chercheur est à replacer dans la relation d’échange. En effet, il a été souligné comment la seule présence de l’ethnologue pouvait influencer ou susciter certains comportements.

La recherche est comprise dans un lieu et un temps précis (l’‘»’ ‘ ici’ » et le ‘«’ ‘ maintenant’ » de l’observation). Elle propose un instantané, une partie seulement de la réalité elle-même saisie par les objectifs propres à l’étude et au choix de l’approche.

L’étude qui est proposée est donc limitée dans l’espace et dans le temps. Inscrite dans le présent de l’observation, de nouvelles données ont pu émerger depuis la phase d’achèvement et de rédaction. De plus, elle se cantonne à l’approche choisie, à savoir, les procédures de mise en valeur des fêtes, des foires et des marchés et les discours patrimoniaux sur lesquels elles reposent.