1.2. La foire

La définition des termes ‘«’ ‘ foire »’ et ‘«’ ‘ marché’ » ainsi que leur présentation historique tendent à souligner les particularités propres à chacun : l’un s’inscrit dans le quotidien local tandis que l’autre, avec ses produits et ses animations, devient un moment de rencontres festives pour un large territoire. Si la foire conserve un caractère exceptionnel et rayonne sur l’ensemble d’un territoire, son rôle et la fonction qui lui est dévolue se sont profondément transformés. Souvent on parle de ‘«’ ‘ gros marché’ » à propos de la vente mensuelle ou bi-mensuelle de bestiaux, qui vient gonfler le marché hebdomadaire comme c’est le cas à Louhans tous les 1er et 3e lundis du mois. La foire se situe entre le ‘«’ ‘ gros marché’ » et la fête. Fêtes et foires sont étroitement liées.

Le terme foire se distingue de marché, à commencer par son étymologie qui le rapproche de fête. ‘«’ ‘ Indissociables depuis leur étymologie jusqu’à leurs installations, la foire et la fête ne se sont séparées que vers les années 50. »’ 44  Foire provient du bas latin feria, dérivé du latin classique feriae désignant les jours de fête, et aussi, par la suite, les jours fériés. En effet, les foires avaient tout d’abord lieu au moment ­– la veille ou le lendemain – de fêtes religieuses ou patronales. La foire de Beaucroissant (Isère) serait ainsi née lors du pèlerinage de 1219, année suivant une inondation meurtrière, à Grenoble. Les pèlerins ayant été très nombreux, les marchandises s’échangèrent, le commerce s’organisa pour donner la foire de Beaucroissant qui a lieu chaque année au moment de la fête de la Sainte-Croix, en septembre. Les foires induisant des jours chômés, les paysans pouvaient s’y rendre librement et s’octroyer quelques heures de divertissement. Comme le déploraient certains bourgeois, la foire était perte de temps et occasion à débauche. Les jours fériés étant rares, ils étaient entièrement investis par une large population. M. Bachelard explique ainsi la concordance de dates entre les foires et les fêtes, en Touraine :

‘« C’est alors qu’au Moyen Age, les marchands qui utilisaient la Loire pour transporter leurs marchandises, devinrent de plus en plus nombreux, et allant de ville en ville, ils recherchèrent pour se rassembler les jours de fêtes religieuses, quand les gens inoccupés pouvaient se réunir plus facilement. » 45

Les foires étaient réellement considérées comme des événements importants qui rythmaient la vie agricole et les coutumes, servant ainsi de repères chronologiques dans le travail annuel. Leur périodicité qui les rend exceptionnelles et leur attractivité sont telles que P. Lamaison remarque :

‘« lorsqu’on observe le calendrier des réunions, on s’aperçoit que les foires sont réparties dans l’année de telle sorte qu’on n’en trouve pratiquement jamais deux simultanément, alors que les marchés au contraire, hebdomadaires, peuvent se tenir ici et là le même jour. » 46

Contrairement aux marchés, les foires présentent des produits exceptionnels et en abondance provenant essentiellement de l’artisanat ou de l’industrie. On peut ainsi trouver des articles d’équipement de la personne (bottes, blouses, casquettes..., surtout destinées à la population rurale) ; des ‘«’ ‘ commerces d’équipements domestiques’ » (vaisselle, boissellerie, vannerie, toiles cirées...) ; des  commerces destinés à l’agriculture (clapiers, matériel de motoculture...) ; des commerces de restauration (boissons, sandwiches, crêpes, buvettes, stands de dégustations...) ; et, plus encore que sur les marchés, une ‘«’ ‘ foule de commerces divers’ » (fleurs, brocante, gadgets, oiseaux, poissons rouges, voitures d’occasion...). 47 Toutes ces marchandises peuvent être représentées sur les marchés, mais en moindre quantité. On remarque d’ailleurs une plus forte spécialisation des commerces sur les foires qui peuvent même être parfois réservées à un type de produits précis. La diversité et la profusion des produits et des animations font qu’au terme ‘«’ ‘ foire’ » sont souvent associées les notions d’ ‘»’ ‘ anarchie’ », de ‘«’ ‘ désordre’ », ce que la précision des règlements fait démentir. De plus, le marché dure généralement une demi-journée alors que la foire peut se prolonger sur plusieurs jours.

Les foires, surtout en milieu rural, désignent la vente annuelle ou mensuelle des gros bestiaux, tels les chevaux et les bœufs qui s’effectuera dans l’espace désigné comme étant le ‘«’ ‘ foirail’ ». Celui-ci apparaît, plus encore que la foire, comme un rassemblement masculin. Ph. Bossis précise :

« il n’est pas un noble lieu de fréquentation (...). Les nobles sont représentés par leurs régisseurs, voire leurs fermiers généraux, et les plus modestes par un homme de confiance (...). La foire aux bestiaux rassemble donc la couche supérieure de la paysannerie, propriétaire ou locataire de ses animaux de trait et de boucherie principalement. » 48

Notes
44.

R. BONNAIN : « Les fonctions non-économiques des foires et des marchés français » in Ethnozootechnie, n°35, 1985, p.60.

45.

M. Bachelard, op cit, p.13.

46.

P.Lamaison : « Des foires et des marchés en Haute Lozère » in Etudes Rurales, n°78-80, p.206.

47.

M. Bachelard, op cit, p.106.

48.

Ph. Bossis : « La foire aux bestiaux en Vendée au XVIIIe siècle; une restructuration du monde rural » in Etudes Rurales, n°78-80, p.147.