1.4. La fête

Le terme de fête, quant à lui, couvre aujourd’hui une réalité plus grande et plus diverse. Ainsi, comme nous le rappelle le petit Robert 61 , le mot ‘«’ ‘ fête’ », vient de feste, du latin populaire festa, de festa dies ‘«’ ‘ jour de fête’ ». Par ‘«’ ‘ fête’ », on évoque des réalités diverses éloignées les unes des autres puisqu’il peut s’agir d’une cérémonie, d’un anniversaire, d’une célébration religieuse ou civile (fêtes des vendanges, Noël, carnaval), d’une kermesse (fête patronale, en rapport avec le saint patronal de la commune), d’un bal… De manière générale, la fête représente une célébration, des réjouissances, un événement, une personne à honorer selon un calendrier. Ainsi, comme le notent A. Villadary et J.-J. Wunenburger, les fêtes se sont profondément modifiées. Elles se sont vidées de leur contenu sacré. La fête archaïque se voulait être un moment de régénérescence du lien entre les hommes, d’une part, et d’autre part, entre l’homme et la nature voire les dieux. Rejouant le mythe fondateur, elle permettait périodiquement à une communauté de se libérer et de se recréer, par une série de ruptures (du temps, de l’espace, des normes sociales, du cours normal de l’économie). Attitude ‘«’ ‘ quasi thérapeutique »’ 62 , la fête archaïque est création d’un nouveau monde ou d’un temps spécifique de descente du sacré 63 offrant un espace de transgression régénératrice. Le chaos étant contrôlé, délimité, la communauté retrouvait son ordre et son équilibre ordinaire. L’homme libéré des contraintes quotidiennes repense son lien à ses semblables et à l’Univers. De par leur nature, les fêtes sont très ritualisées. Si, comme le rappelle D. Mandon, ‘«’ ‘ la fête a toujours un caractère essentiellement mixte, à la fois cérémoniel et divertissant, ces deux aspects et leurs rapports ont profondément changé (…). Les pratiques festives se sont diversifiées et orientées davantage sur le divertissement, le ludique, le spectaculaire. »’ 64 Si, à l’origine, la fête appartient au domaine du sacré, du religieux, elle s’est sécularisée, pour entrer dans le quotidien. L’aspect ‘«’ ‘ spectacle’ » a toujours constitué une part de la fête, mais il n’a plus la même charge émotionnelle et symbolique. La tendance est maintenant au spectaculaire et au ludique, comme le soulignent ces trois auteurs. A. Villadary remarque que, si la fête traditionnelle ne constitue plus une rupture avec le quotidien, l’espace, le temps, les normes du groupe, un autre support peut remplir cette fonction : le loisir. Pourtant, elle souligne que les fêtes sont ‘«’ ‘ l’expression d’une communauté alors que les loisirs expriment une tentative individuelle.’ » 65 Toutefois, les fêtes ont conservé un aspect essentiel : leur capacité à rassembler et à faire communiquer les hommes entre eux. Une des caractéristiques de la fête archaïque est qu’il n’y a ni acteur ni spectateur : tout le monde participe, tout le monde joue un rôle. La conscience de participer à la venue du sacré a disparu, mais on montre, par sa présence sur la fête, son inscription dans une communauté, son appartenance à un groupe. La fête est aujourd’hui moins recréative que récréative.

La fête perd aussi en spontanéité : ‘«’ ‘ pour se maintenir, la fête folklorique a de plus en plus besoin d’amateurs à vocation d’organisateurs, de ’ ‘«’ ‘ comités » de fêtes se réfugiant dans des ’ ‘«’ ‘ palais » des fêtes.’ » 66 Les fêtes folkloriques ou patrimoniales se sont ainsi développées au cours du XXe siècle, et ce n’est que récemment que l’on parle de ‘«’ ‘ fête du piment’ », de fête de la Transhumance, de fête ‘«’ ‘ du Haut Jura’ »… ‘«’ ‘ Le plus souvent, ces fêtes sont fondées soit sur un produit ou une activité (la cerise, la lavande, un fromage…), soit sur un aspect remarquable de la vie rurale ’ ‘«’ ‘ d’autrefois » (battages, mariages à l’ancienne…).’ » 67 Depuis une vingtaine d’années fleurit ce type de fêtes, s’appuyant fortement sur un ancrage local et historique, dans un but ‘«’ ‘ d’animation des campagnes’ » 68 .

De par sa dimension sacrée originelle, la fête se distingue des foires et des marchés. Néanmoins, dans sa concrétisation, elle peut se confondre avec la foire, puisque toutes deux proposent des produits agricoles et que parfois un terme peut être remplacé par l’autre. Le concours bovin de Saulieu, par exemple, est devenu ‘«’ ‘ fête’ » il y a 15 ans, quand l’aspect ludique, déjà présent auparavant, s’est développé et a touché l’ensemble de la population et plus seulement les éleveurs. De même à Billom, les termes ‘«’ ‘ fêtes »’ et ‘«’ ‘ foires’ » sont utilisés alternativement par la population pour désigner la foire à l’ail.

Dans le cadre de manifestations ayant trait à un produit agricole, ce qui pourrait distinguer les termes de « fête » et de ‘«’ ‘ foire’ » est que la foire, de tradition ancienne, touche plus particulièrement le monde professionnel tandis que la fête, de tradition plus récente, se veut être un grand rassemblement populaire. La première, à caractère ‘«’ ‘ sérieux’ », a un impact direct très fort sur l’économie locale, alors que la seconde défend avant tout son aspect ludique et récréatif, même si elle a aussi un impact local en produisant une image valorisante.

Notes
61.

Le Nouveau Petit Robert, p. 911.

62.

J.-J. WUNENBURGER : La fête, le jeu et le sacré, 1977, p.88.

63.

ibid., p.80.

64.

D.MANDON : Trouble fête. La fête éclatée, miroir d’une société, 2000, p.38.

65.

A.VILLADARY : Fête et vie quotidienne, 1968, p.49.

66.

J.-J.WUNENBURGER, op cit, p.177.

67.

J.-C. GARNIER et F.LABOUESSE : « Quand société et ruralité renouvellent leur relation. Les fêtes de la transhumance dans le Midi méditerranéen » in Campagnes de tous nos désirs, M.RAUTENBERG et alii (dir), 2000, op cit, pp.123-124.

68.

Ibid., p.123.