Erigés en véritables institutions sociales, les foires et marchés se sont néanmoins transformés au fil des siècles. Dès le XIVe siècle, le commerce international diminue alors que se succèderont des siècles de guerres, de crises et d’épidémies. Les foires et les marchés, loin de disparaître, se tournent vers les productions locales, agricoles ou artisanales (l’artisanat s’étant développé au cœur des villes, parfois inspiré par des productions véhiculées par le commerce international, comme la fabrication de tissu). Les foires et les marchés deviennent le reflet d’une société et d’une économie locale, voire régionale. Il faut remarquer que les marchés ont toujours été ancrés dans la réalité locale, même si des commerçants, venus de toutes parts, déballaient des marchandises ‘«’ ‘ exotiques’ » sur les étaux. Par contre, les grandes foires de marchandises ont joué un rôle non négligeable dans le commerce international. Elles ont créé des aires d’attraction (comme les foires de Champagne) et les routes qui y menaient ont vu naître de plus petites places marchandes, permettant l’expansion des échanges de produits artisanaux ou manufacturés issus des productions internationales. Lorsque ce commerce régresse, les grandes foires qui ont une influence internationale disparaissent, mais les foires locales et les marchés se développent avec plus de vigueur. I. Senaffe rappelle qu’à partir du XIVe siècle, les petites foires rurales ont un fort intérêt pour les spéculations sur les produits de l’élevage 79 . Les foires se spécialisent à partir du XVIIIe siècle (foire aux grains, foire aux bestiaux, foire aux vins…), mais elles proposent surtout une grande diversité de produits. Divers auteurs dont M.Bachelard soulignent que ‘«’ ‘ les foires sont, tout au long du XIXe siècle, le lieu où se négocient les bestiaux destinés à l’agriculture ou à la boucherie’ » 80 . Elle précise que les foires aux bestiaux connaissent leur apogée fin XIXe, début XXe siècle 81 . C’est à partir du XIXe siècle surtout que s’opèrent les premiers bouleversements importants sur les places marchandes, suscités par le développement et l’amélioration des routes et des moyens de transports. Ces derniers, dans un premier temps, faciliteront les déplacements, occasionnant ainsi la création de nombreux marchés. Chaque commune aura en effet son marché et parfois sa foire annuelle. A cela s’ajoute une croissance démographique, puis une augmentation des productions agricoles qui sont toujours commercialisées sur les foires et marchés. De plus, il y a un intérêt économique pour les communes à créer des foires et marchés, comme le remarque M. Bachelard (puisque ceux-ci procurent des ressources financières grâce aux droits de places), sans oublier ‘«’ ‘ l’esprit de compétition’ » qui s’instaure entre elles. 82 Les foires et marchés seront surtout, jusque pendant la première moitié du XXe siècle, l’unique moyen pour les agriculteurs d’écouler le surplus de leur production.
Pourtant leur déclin s’annonce dès la fin du XIXe siècle. L’amélioration des transports et plus tard l’apparition des voitures individuelles, qui ont provoqué un nouvel essor, entraînent une diminution des fréquentations et du nombre des marchés, en permettant de développer la vente à la ferme. Ce sont surtout les petits marchés qui sont touchés par cette crise alors que les plus importants se maintiennent et gardent leur attractivité. Pourtant, si la rupture est ressentie avec dureté après la deuxième guerre mondiale, celle-ci s’est amorcée bien plus tôt. Ainsi M. Bachelard rappelle :
‘« Certes, foires et marchés ont semblé connaître une chute très brutale dès les années 55, mais ce phénomène était dû au fait que, les années précédentes, on avait assisté à une activité, un dynamisme exceptionnels du commerce forain ; cette vigueur des foires et marchés juste après la guerre 39-45 fut à l’image du dynamisme qui caractérisa alors le petit commerce sédentaire ou l’artisanat, et qui compensait en fait les défaillances de la distribution traditionnelle et répondait à un gonflement brutal de la demande. Aussi, à partir de 1955, l’activité des foires et marchés semble-t-elle subir une chute d’autant plus importante et soudaine qu’il s’est produit une vigoureuse relance précédemment. » 83 ’Si les foires et marchés tenaient une place importante dans la vie économique régionale et s’intégraient parfaitement au mode de vie économique et social des agriculteurs, ces manifestations tendent à se réduire, ou du moins à se transformer après le bref renouveau de l’après deuxième guerre mondiale. En effet, depuis ce moment, non seulement on ne perçoit plus de création de foires et marchés, mais en plus certains disparaissent ou perdent de leur vitalité.
On note surtout que les marchés jusqu’alors révélateurs d’une économie de subsistance, qui ne recevaient que les surplus des petites exploitations et les articles artisanaux, passent d’un lieu d’écoulement des marchandises à un lieu de distribution à l’exception des produits de basse-cour qui diminuent. Les foires et marchés qui étaient essentiellement des lieux de vente en gros, destinés à des marchands, deviennent des lieux de vente au détail, réservés aux particuliers. D’autres formes de commerce se mettent en place pour les grossistes, les revendeurs et les négociants.
Ce qui semble tout d’abord se transformer est le rôle des marchés dans l’économie agricole. Ainsi, et dès le début du XXe siècle, les gros bestiaux en premier, seront vendus directement à la ferme. En effet, il est plus aisé de faire la transaction dans les exploitations, ce que facilite l’amélioration des réseaux routiers. Les autres animaux ne seront plus obligés de passer par les marchés pour être vendus. Ainsi, notamment sur le marché agricole, on ne trouve presque plus que des particuliers. Les volaillers ont généralement leurs éleveurs attitrés avec qui ils ont des contrats et chez qui ils s’approvisionnent directement. Le marché n’est plus le seul moyen de commercialisation utilisé par les paysans. Volaillers et ‘«’ ‘ maquignons’ » désertent les marchés et organisent des ‘«’ ‘ tournées’ » dans les fermes. Des moyens plus modernes se mettent en place pour la vente des produits qui sont de plus en plus exportés hors des communes. Les produits manufacturés prennent alors une plus grande place tandis que les produits frais sont de plus en plus distribués par des coopératives qui favorisent surtout l’exportation. Les produits manufacturés qui étaient avant tout l’apanage des foires, se retrouvent sur les marchés. Le nombre de foires diminue. Pour remédier à cette tendance, la date de tenue des foires est modifiée. Souvent liées à un saint Patron, à une fête religieuse, elles seront fixées au dimanche le plus près. A la fin du XIXe siècle, la foire ‘«’ ‘ n’est plus qu’une forme de commerce de plus en plus disséminée, un peu désuète et destinée à perdre peu à peu sa spécificité : la foire, déclare P. Huvelin, devient synonyme de marché.’ » 84 M. Bachelard constate de la même façon que les foires ne sont plus alors qu’‘»’ ‘ un marché sensiblement plus important que les marchés ordinaires. »’ 85 Les foires de bétail perdent leur importance économique alors même que quelques marchés aux bestiaux d’origine très ancienne se développent (ils sont concentrés sur les zones d’élevage et de forte distribution comme c’est le cas à Saint-Christophe-en-Brionnais, en Normandie, en Pays de Loire…). Ces marchés avaient d’abord ‘«’ ‘ connu un déclin général depuis le siècle dernier, mais [ils] ont été brusquement revitalisés grâce à un aménagement moderne, presque toujours sous l’impulsion d’une municipalité dynamique’. » 86 Les foires voient leur poids économique diminuer et elles connaissent une diversification de forme : foire à la brocante, foire exposition… Les étaux se diversifient de même que les achats, les agriculteurs commençant à acheter des produits finis et non alimentaires. Le producteur produit non plus pour se nourrir mais pour vendre. De plus l’exode rural se fait ressentir sur les marchés (moins de clients) qui réservent peu à peu une moindre place aux produits agricoles. M. Bachelard note également la fin du nomadisme des marchands. Ceux-ci sont devenus de plus en plus des professionnels aux statuts différents, inscrits au Registre du Commerce. Dès lors les phases de production et de commercialisation sont clairement séparées.
De manière générale, c’est tout un mode de vie, agricole, qui se transforme. En effet, l’agriculture traditionnelle tend à diminuer au profit d’exploitations plus importantes et plus spécialisées pour lesquelles le marché n’est plus adapté. La présentation du même marché au début du siècle et aujourd’hui laisse apparaître un profond changement dans son organisation, dans son contenu et dans sa fonction. Ce bouleversement, apparu dans les années 50, provient non seulement d’une amélioration des équipements mais aussi et surtout, d’une transformation du mode de vie. En effet, si pendant longtemps le marché était une étape à part entière du travail agricole, aujourd’hui, il n’en est plus le passage obligé. De plus, les habitants qui sont de plus en plus citadins, lui préfèrent – par commodité – les grandes surfaces. Toutefois, le marché reste un lieu privilégié de rencontres et il maintient sa place dans les réseaux de commercialisation.
I. Senaffe, op cit,p.5.
M.Bachelard, op cit, p.46.
ibid., p.50
ibid., p.30.
ibid., p.65.
I. Senaffe, op cit, p.6.
M. Bachelard, op cit, p.74.
M. Bachelard, op cit, p. 221.