2.3.5. Des fêtes et des foires : un rôle économique secondaire

Les fêtes et foires annuelles que nous nous proposons d’étudier ici sont à considérer à part, puisqu’elles ne sont pas des moyens de distribution parmi d’autres.

Ceci est particulièrement visible pour les foires professionnelles, qui sont avant tout des concours. Réservées aux professionnels (surtout en ce qui concerne les concours bovins), elles n’entrent pas dans les observations des réseaux de distribution telles que nous avons pu les décrire précédemment. Elles ne concernent pas directement le grand public. Néanmoins, ces concours, qui valorisent l’ensemble de la filière ont un véritable intérêt économique et celui-ci est très sensible à Saulieu et à Saint-Christophe-en-Brionnais.

Le concours de Saulieu est très prestigieux. Pour les éleveurs, c’est une reconnaissance et un moyen de se faire beaucoup d’argent puisque les prix flambent à cette occasion, même pour ceux qui n’ont pas eu de récompense. Pourtant, ceux qui n’engraissent pas de bêtes justifient leur choix par le fait que ce n’est pas très rentable vu les soins qu’il faut apporter pendant de nombreuses années 106 .

Pour l’acheteur (souvent un hypermarché de type ATAC), c’est l’occasion de se faire une superbe promotion. Le jour même, son nom est inscrit en gros au feutre sur la bête et lorsqu’il va la tuer (quelques jours ou quelques semaines plus tard), il réalisera une publicité dans les journaux pour annoncer la vente d’une bête du concours de Saulieu, son classement étant précisé. A ce sujet, certains dénoncent le fait que des hypermarchés en profitent pour écouler une viande de moindre qualité sous la même plaque. Celle-ci est offerte par le Comice agricole à l’éleveur et à l’acheteur. Elle indique le classement de la bête.

Le nom de l’éleveur est également affiché en gros à l’emplacement de la bête. Bien que la vente ait été conclue, c’est l’éleveur qui garde le bovin jusqu’à ce qu’il soit tué. Il ne sera payé qu’à ce moment là, ce qui est risqué car la bête, de santé fragile, peut mourir entre temps. Dans ce cas, le contrat est rompu.

Le grand prix d’honneur est donné à la plus belle bête, toutes catégories confondues. Cette récompense a des retombées économiques importantes puisqu’elle entraîne une plus-value conséquente sur le prix de vente de l’animal (vendu 70 000 F l’année 2000). Il m’a directement été demandé de ne pas révéler le prix de vente des bêtes d’honneur ‘«’ ‘ car on va encore dire que les agriculteurs sont pleins de fric (…). Mais ça vaut cher, une bête comme ça. »’ C’est un investissement à long terme, avec les risques que cela suppose, et les frais engagés jusqu’à sa vente ne sont pas toujours couverts.

Les fêtes, quant à elles, sans doute parce qu’elles sont ponctuelles, n’entrent pas non plus dans les observations statistiques. Elles sont ainsi souvent confondues dans l’ensemble du chiffre d’affaires réalisé par la vente directe. Pourtant, tous les producteurs n’hésitent pas à affirmer qu’ils y réalisent une bonne part de leur chiffre d’affaires, sans compter les retombées dont ils bénéficieront à long terme, en fidélisant une clientèle. Les fêtes comme les foires sont souvent réservées aux producteurs locaux. Les produits manufacturés sont peu représentés. Les produits transformés sont issus de l’artisanat ou de la production locale. Les exposants sont donc avant tout des artisans ou, le plus souvent, des producteurs qui ont choisi la vente directe comme mode de commercialisation. Les commerçants sont donc très peu nombreux sur les fêtes et les foires. La plupart des producteurs présents sur une fête se déplacent régulièrement sur d’autres manifestations ponctuelles et ils sont parfois présents sur les marchés hebdomadaires locaux. On remarquera que, si les fêtes, en créant une attraction, en font bénéficier l’ensemble des commerces – y compris les sédentaires, souvent ouverts pour l’occasion –, tous ne sont pas satisfaits. Ainsi, lorsqu’on déambule dans les rues, il semble plus difficile de pousser la porte d’une boutique. A Billom, une commerçante se désespère de ne voir entrer personne dans sa boutique alors que nous sommes un samedi après-midi, journée habituellement très rentable. Les étaux des commerçants non-sédentaires ne facilitent pas le passage jusque vers le magasin, et les clients passent dans les allées en ne regardant que les étalages qu’ils découvrent à chaque pas. Elle remarque également que certains de ses clients habituels attendront le lundi pour venir, lorsqu’il sera plus aisé pour se garer et pour se déplacer dans les rues, évitant ainsi la cohue que tous n’apprécient pas. A Romans, au contraire, des commerçants se sont associés à la fête pour proposer des animations par quartier pour que les visiteurs déambulent partout. Un libraire propose un stand de bandes dessinées, ce qui peut conduire le visiteur à entrer. De plus, beaucoup venant d’abord pour acheter des chaussures, ce commerce reste fréquenté durant la fête. Les commerçants sédentaires n’hésitent donc pas à exposer des produits sur leur pas-de-porte. Le produit fêté est celui qui est le plus acheté. Les gens viennent pour lui, il abonde de partout. C’est néanmoins aussi l’occasion d’acheter d’autres produits de terroir. Certains commerçants mécontents du peu de vente qu’ils réalisent remarquent que ‘«’ ‘ souvent, les gens viennent se promener ; ils partent les mains dans les poches, sans un sou’ » donc sans l’intention d’acheter, évitant de se laisser ‘«’ ‘ tenter’ ».

Les fêtes et les foires professionnelles, plus que les marchés, remplissent moins un rôle économique, pour le public, qu’un rôle social. Le public ne vient pas toujours pour acheter, mais pour retrouver une ‘«’ ‘ ambiance’ », un esprit festif. Nous verrons également dans la deuxième partie que les producteurs tendent à s’approprier les fonctions non-marchandes des fêtes et des foires, en particulier par la mise en place d’un échange symbolique qui leur permet de valoriser leurs produits.

Notes
106.

Il s’agit en effet de bêtes engraissées durant 3 à 5 ans, les « culards ». Elles sont souvent cardiaques, et réclament beaucoup de soins.