IV - Des lieux modernes reflétant une société contemporaine ?

La présentation des fêtes, des foires et des marchés souligne le fait qu’ils n’ont pas été soustraits du temps et de la société comme le laissent à penser certains.

En effet, nous avons vu qu’ils s’étaient transformés au cours de leur histoire où ils furent souvent mis à mal, ce qui les a obligés à entreprendre des modifications pour s’adapter. Quel que soit le lieu, les fêtes, les foires et les marchés ne sont pas restés tels qu’ils étaient au début du XXe siècle et encore moins tels qu’ils existaient à leur origine. Des événements (telles que les guerres), des maladies (épizooties), des décrets municipaux, des innovations techniques… les ont plus ou moins touchés. Aussi, leur physionomie, leur fonction dans le système de distribution des marchandises, leur rôle dans la société locale, leur place dans la ville ont évolué. Ils se sont modernisés, ont adopté du matériel nouveau, se sont déplacés dans la ville, mais pourtant ils paraissent comme surgis du passé, ‘«’ ‘ archaïques’ » comme le dit M. de la Pradelle. Quelques interlocuteurs nous diront qu’ils ont devant eux l’image des marchés tels qu’ils se l’imaginaient au début du XXe siècle. Ce qu’ils perçoivent, c’est aussi l’image d’une communauté agricole que ces marchés évoquent. On pourrait dire par contre qu’une part d’eux-mêmes exprime un certain archaïsme. Cette idée est véhiculée par le fait qu’ils se déroulent souvent en plein air, qu’ils représentent une forme de nomadisme (en décalage avec nos modes de vie de plus en plus sédentaires), qu’ils conservent un lien avec le milieu agricole (si ce ne sont pas des producteurs eux-mêmes qui viennent sur ces places marchandes, les produits changent avec les saisons et ils sont parfois de production ‘locale) et qu’ils conservent un esprit de convivialité générale que les lieux de la société ’ ‘«’ moderne» ne semblent pas susceptibles de produire. En effet, c’est de la comparaison avec des lieux modernes – ces ‘«’ ‘ non-lieux’ » comme dirait M. Augé – que les fêtes, les foires et les marchés paraissent relever d’un autre temps que l’on attribue au passé. Pourtant – et c’est bien là qu’ils ont le plus changé – la fonction des fêtes, des foires et des marchés s’est profondément transformée. Ils sont ainsi passés d’un lieu d’écoulement des marchandises à un lieu d’approvisionnement et peut-être aujourd’hui à un lieu culturel comme le laissent supposer les nouvelles pratiques observées que nous développerons plus loin. Mais ces changements qui montrent que la fête, la foire et le marché ont su s’adapter ne sont-ils pas la preuve même de leur modernité ? Le fait même qu’ils répondent aux attentes de nos contemporains et qu’ils apportent une solution efficace à la volonté d’échanges entre producteurs et consommateurs, ne montre-t-il pas encore leur inscription au monde actuel ? Mieux, les hypermarchés les imitent et ils semblent par certains aspects répondre mieux qu’eux aux besoins de la société à l’heure où l’on semble plus attentif à ce que l’on nous présente dans l’assiette et à un certain art de vivre, ce qui paraît être conforté par la mise en place des 35 heures qui laissent plus de place aux loisirs et à l’épanouissement personnel, dépassant le modèle productiviste des années 80.

Non seulement les fêtes, les foires et les marchés font preuve d’une certaine contemporanéité, mais en plus ils sont imprégnés de la société dans laquelle ils ‘«’ ‘ vivent’ ». Les fêtes, les foires et les marchés ne sont pas des isolats. Ils traduisent ce qui se passe autour d’eux. Ils reflètent ainsi une économie locale (des produits qu’ils écoulent) ou nationale, des politiques (des normes, des lois, des règlements), des idéologies (c’est un lieu de discussion, d’échange d’informations)… Et si aujourd’hui ils ne sont plus des lieux centraux de la vie sociale et économique, il n’en demeure pas moins qu’ils gardent leur place dans la constitution d’une appartenance au local ou dans le reflet de besoins sociaux. Ils répondent à la recherche d’un lien direct entre production et consommation, sans parler du fait qu’ils restent – en particulier en milieu rural – un excellent moyen de circulation d’information (les politiques viennent, des pétitions y sont présentées…) par leur capacité à rassembler les gens.

Cette présentation a souligné qu’ils reflètent une société dont ils révèlent les enjeux. En effet, dès leur origine on voit que leur création dépend de l’accord d’une charte de franchise par un Seigneur qui y voit son intérêt. Leur naissance, leur maintien et leurs modifications sont conditionnés par des motivations politiques ou économiques. Aujourd’hui encore on voit qu’ils ne sont pas détachés de ces dimensions. A Louhans, la commande d’une étude s’inscrit dans un projet global de dynamique économique et sociale de la ville. A Saint-Christophe-en-Brionnais l’enjeu pour la commune est immense. Ailleurs, les foires et les fêtes participent pour beaucoup à ces mêmes dynamiques. Ayant recours à des dimensions symboliques, jouant parfois volontairement avec des images du passé – par exemple à Saint-Aubin où la fête toute jeune est présentée comme reconstituant les marchés d’autrefois – ces places marchandes ont encore leur place dans la cité. On exploite leurs atouts pour participer à la relance des filières ou à la valorisation des villes.

Les fêtes, les foires et les marchés peuvent se définir par l’échange commercial qui lie un commerçant à son client. Toutefois ils ne peuvent s’y résumer, la nature de l’échange pouvant être sociale, symbolique ou culturelle.

Partant de l’hypothèse que la raison d’être des fêtes, des foires et des marchés ne réside pas dans l’échange marchand qui s’effectue dans l’instant, l’enjeu de cette partie est de cerner les attentes de chacun et le rôle attribué aux places marchandes. Il s’agit de saisir l’interprétation que les individus portent sur leurs pratiques et sur leur manière de percevoir les places marchandes. Cette analyse se fait à travers l’observation des liens entre un produit, une place marchande et des consommateurs ou des producteurs. Chaque entité est mise en relation avec une autre (la place marchande met en valeur un produit, par exemple) mais le sens de ces manifestations se trouve dans l’échange entre toutes. Leur confrontation est appréhendée à travers les notions de lieu, d’histoire, de mémoire, de mise en scène ou en exposition et de transmission ou de médiation.

Compris au sein de demandes de réappropriations de la commercialisation d’une part et de la consommation d’autre part, nous posons comme question : quels rôles les fêtes, les foires et les marchés jouent-ils dans l’échange producteur/consommateur ? Comment les liens au lieu, à la tradition, au passé, à l’identité locale qui définissent ces places marchandes sont-ils convoqués pour produire un patrimoine social ?

Dans un premier temps, nous observons le sens et l’intérêt donné aux fêtes, aux foires et aux marchés par les producteurs en comprenant la manière dont ils mettent en scène des produits, un lieu et des savoir-faire à travers lesquels ils s’exposent.

Dans un deuxième temps, nous observons le sens et l’intérêt donné aux fêtes, aux foires et aux marchés par les chalands. Leur venue se comprend par la manière dont ils perçoivent les produits exposés, mais aussi un lieu et une communauté et plus généralement une identité locale.

Parallèlement, nous relevons les caractéristiques propres aux fêtes, aux foires et aux marchés qui mettent en scène des produits et une identité collective. Nous soulignons que des éléments favorisent l’interprétation de la réalité perçue. Celle-ci les inscrit dans un passé, une tradition locale qui semble gage d’authenticité et de qualité.

Dans un troisième temps, qui fait la synthèse des deux premiers, nous analysons la manière particulière dont s’effectue la rencontre producteur/consommateur médiatisée par les places marchandes.